Carpe diem

J’ai conscience que la vie ne sera pas toujours aussi douce qu’elle l’est aujourd’hui.

Peut-être que j’aurai faim et mes enfants aussi, peut-être que nous n’aurons pas de médicaments quand nous serons malades, peut-être que nous aurons très froid l’hiver, si le Gulf Stream s’arrête et que mon chauffage au gaz augmente trop.

Peut-être que la mort nous sera plus familière.

Mais je crois à la possibilité d’une vie, et pas seulement d’une survie. Je crois à l’entraide entre voisins, je crois à l’amour des miens, je crois que les gens aimeront que je leur dise des poèmes. Je crois que quelqu’un saura encore jouer de la musique, que nous chanterons parfois, que les enfants danseront. Je crois qu’il y aura toujours un chat à caresser, des couchers de soleil l’été, et des nuages étranges à regarder.

Je crois que nous aurons peur souvent. Que nous trouverons ridicules les choses pour lesquelles nous nous faisions du souci. Nous réaliserons à quel point notre vie était facile, à quel point nous aurions pu être heureux et rendre grâces chaque jour pour tout ce qui nous était donné : un bon lit, trois repas, des vêtements propres tout le temps. Nous comprendrons la chance que nous avions.

Alors je savoure. Dès que je peux, je savoure, de tout mon être, de tous mes sens, de toute mon âme. Je me délecte de tous les plats que je cuisine et je les trouve parfaits. Je savoure ma douche, même froide et rapide, et le moment où je me sèche, où j’enfile mes vêtements. Je goûte le plaisir d’être propre. Je regarde les paysages comme s’ils allaient disparaître demain. Je sais qu’ils sont déjà morts, et leur beauté n’en est que plus brûlante, leur merveille plus étonnante. Je prends comme une chance immense chacun des sourires de mon fils, et dans l’instant, je ne suis plus que joie, et gratitude. Chaque soir, je serre longuement ma fille contre moi, en remerciant du fond du cœur pour le bonheur de l’avoir déjà vue grandir six ans, d’avoir déjà connu ce bout de son enfance, et nulle soie n’est plus douce que la peau de sa joue contre la mienne. Je la serre, je l’embrasse, je suis toute à mon corps de mère et toute à elle.

Mon présent est plus dense. Ma conscience du bonheur, plus aiguë. Les blessures du passé sont seulement des marches qui m’ont un peu élevée.

Comme je suis heureuse !

Et je prendrai toutes les épreuves comme elles viendront.

Chloé Pardanaud-Landriot

4 comments on “Carpe diem”

  1. Mathilde Conrotte dit :

    Magnifique Chloé!

    Merci pour ces mots qui transmettent si justement ce mélange divers d’impressions, d’intuitions, d’émotions et d’imaginaire qui accompagne l’idée du déclin de notre société.

    Je crois qu’en la beauté – que je définis par toute source d’émotion positive – se trouve l’espace d’une certaine libération de l’angoisse liée au vide de notre existence présente, à l’incertitude de celle à venir. Et j’ai cru lire dans les lignes de ton poème ‘Carpe Diem’ des échos à cette idée…

    Mathilde

  2. Isabelle dit :

    Merci pour ce beau texte! C’est tout a fait ce que je ressens. Regarder le monde avec le regard de l’adieu permet d’en goûter toute la beauté, même si celle ci est, je dois l’avouer, teinté d’une infinie mélancolie. Moi aussi ce sont mes enfants qui me permettent d’être présente ici et maintenant, de manière intense, et d’habiter vraiment le monde. Belle année à vous!

  3. Péan dit :

    Il ne faut pas craindre l’avenir : l’adversité grandit ceux qu’elle n’abat point. J’ai 70 ans, sachez que mes arrières grands-parents ont vécu dans un labeur quotidien, la plus grande partie de leur vie sans confort (ni eau courante, ni chauffage, ni moyen de transport). Et je peux témoigner qu’ils ont vécu heureux au milieu de leur famille et de leurs amis : Être plutôt qu’avoir !

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