Covid-19: quelles leçons tirer de la crise?

Une crise qui s’inscrit dans un déclin progressif de la société industrielle

Tout en considérant qu’un effondrement systémique est inéluctable, nous l’envisageons comme un déclin progressif qui pourrait s’étaler sur plusieurs décennies, plutôt que comme un phénomène unique et brutal. Il est probable que ce processus d’effondrement soit déjà en cours – du moins, c’est le cas pour la biodiversité qui disparaît, pour le dérèglement climatique qui s’accentue. Nous voyons donc la crise sanitaire actuelle non pas comme un déclencheur mais plutôt comme l’une des multiples crises qui ponctuent et continueront à ponctuer un déclin progressif de la civilisation thermo-industrielle (c’est-à-dire basée sur l’utilisation massive d’énergies fossiles). Nous ne savons pas quelles seront les prochaines – nul n’est devin – mais les fragilités de notre société sont nombreuses et nous exposent à d’autres crises à venir. Il faut s’attendre à un monde de plus en plus chaotique et imprévisible.

Cependant, même si la survenue cette crise est conforme à nos anticipations, nous ne sommes pas dans l’état d’esprit de ceux qui clament «vous voyez, je vous l’avais bien dit». Cette pandémie, outre les nombreux décès qu’elle provoque, a des conséquences dramatiques sur les conditions de vie de millions de personnes dans le monde, conséquences que l’on commence seulement à entrevoir. L’effondrement sera une phase longue et difficile de l’histoire de l’humanité. Si nous en parlons, c’est pour appeler à s’y préparer, à en atténuer les effets douloureux autant que possible, de manière collective.

Bon pour la planète ?

Le ralentissement de l’économie pourrait laisser espérer que la pandémie aurait néanmoins quelques conséquences positives, en réduisant la pression humaine sur l’environnement. Ce n’est malheureusement pas aussi simple.

Même si cette crise entraîne la plus forte baisse annuelle jamais enregistrée en termes d’émissions de gaz à effet de serre, baisse estimée à 5% par CarbonBrief, cela ne suffira pas à rester sous la barre des +1,5°C de réchauffement, car il faudrait pour cela que les émissions mondiales diminuent de 7% chaque année. De plus, cette baisse des émissions n’est pas le résultat d’actions en faveur du climat, mais les conséquences involontaires d’un confinement temporaire. On peut donc craindre que ces effets soient vite annulés par le redoublement d’activité qui suivra la reprise économique, si l’on reste dans le schéma «croissanciste» actuel, et la décroissance qui serait nécessaire n’est pas à l’ordre du jour.

Dans le même temps, la destruction de la nature n’a pas ralenti : la déforestation, l’urbanisation et la pollution progressent toujours. Les trafics d’animaux sauvages et le braconnage d’espèces menacées se sont même accrus à la faveur de la diminution de la surveillance et de l’arrêt du tourisme.

L’occasion d’une salutaire prise de conscience ?

Certains voient cette pandémie comme l’occasion d’une prise de conscience collective qui permettrait de refonder la société sur des bases plus justes et plus durables. Cependant, l’expérience de la crise financière de 2008-2009 a montré qu’une fois la crise surmontée, la tendance à revenir au business as usual l’emporte vite, malgré les déclarations d’intention. Il faut s’attendre à ce que, au prétexte de relance économique et sous la pression de lobbies industriels, les gouvernements mettent entre parenthèse leurs politiques environnementales – déjà déficientes – et ouvrent les vannes à une exploitation accrue des énergies fossiles, dont on sait que les trois quarts devraient rester sous terre si l’on veut éviter la catastrophe climatique. Au plan social, la période de récession économique qui s’ouvre au niveau mondial va se traduire par un accroissement du chômage, des inégalités et de la pauvreté. Enfin, au plan démocratique, la pandémie risque de servir de prétexte à un accroissement de la surveillance et à la restriction durable des libertés publiques.

Préparer les populations aux situations de crise pour en réduire les impacts

La panique et le manque de préparation peuvent aggraver les conséquences d’une crise. Nous n’étions pas préparés à un confinement, ce qui a suscité des réflexes de stockage de nourriture et parfois des pénuries dans les magasins. En Europe, depuis la fin de la dernière guerre, nous vivons une situation d’abondance matérielle et de sécurité sans précédent, que nous prenons comme un fait acquis, et nous ne sommes plus habitués aux aléas majeurs (épidémies, pénuries, guerres, famines) des siècles précédents. En réalité, ces risques n’ont pas disparu et d’autres sont venus s’y ajouter, tels que les risques industriels majeurs (comme l’incendie de Lubrizol) ou ceux induits par le dérèglement climatique, auxquels nous ne sommes guère mieux préparés. Or, nous allons être confrontés à ces risques de plus en plus fréquemment. Adrastia estime que plus les populations seront informées de la conduite à tenir dans ces situations, plus on réduira les comportements de panique. Il est illusoire de penser que nous pouvons tout contrôler et tout maîtriser : admettre nos limites dans ce domaine et se préparer à des situations inédites serait déjà une étape importante. Les pouvoirs publics ont ici un rôle à jouer, par exemple, le gouvernement suédois a édité une brochure à destination des populations sur la conduite à tenir en cas de crise grave ou de situation d’urgence.

Anticiper l’inéluctable descente énergétique et matérielle

A long terme, les conséquences de cette crise iront-elles dans le sens de la sobriété et d’une plus grande résilience, ou bien se contenteront-elles de traiter les symptômes et non les causes ? Par exemple, vouloir relocaliser l’agriculture est louable, puisque notre alimentation dépend en très grande majorité d’importations (comme l’a montré Stéphane Linou dans son récent livre sur la résilience alimentaire). Encore faut-il que cela aille de pair avec une désindustrialisation de cette agriculture, qui dépend aujourd’hui totalement des énergies fossiles. Relocaliser les productions en France tout en poursuivant dans un modèle agro-industriel qui concentre les exploitations, généralise les fermes-usines et laisse le pouvoir à quelques firmes agrochimiques, cela n’irait pas dans le sens de la résilience. À l’inverse, nous avons besoin d’une politique de sobriété et de décroissance dans tous les domaines, pour faire face à l’inéluctable descente énergétique qui s’annonce, accompagnée de mesures de redistribution et de solidarité pour ne pas pénaliser les plus démunis et les plus vulnérables.

Face à ce constat, Adrastia poursuit sa mission d’information et tente d’aider ses membres à prendre conscience de la situation pour qu’ils puissent choisir, pour eux-mêmes et les leurs, les comportements qu’ils jugeront les plus adaptés.

Adrastia
avril 2020

One comment on “Covid-19: quelles leçons tirer de la crise?”

  1. Bource dit :

    Merci : votre rôle est fondamental mais devant l’urgence de la situation nous, simples citoyens, nous sommes fortement démunis face à un politique intriquée dans la mondialisation et le capitalisme. Peu de gens ne se sentent réellement concernés (je l’estime à 10 % ) j’entend s’impliquer physiquement dans cette transition urgente.

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