Ces « graphiques manquants » pourraient changer votre manière de voir notre addiction aux combustibles fossiles

[spacer height= »20px »]

[spacer height= »20px »]
[spacer height= »20px »]
Traduction par Julien Armijo, Yves Bodson

[spacer height= »20px »]

Pour répondre à la double menace du changement climatique et de l’acidification des océans, presque toutes les nations ont promis de brûler moins de combustibles fossiles.

Mais jusqu’à présent, l’humanité continue d’en brûler toujours plus. L’année dernière, à nouveau, la quantité que nous en avons brûlée a établi un record historique.

Et cela, selon des données tirées de la dernière « Revue Statistique de BP sur l’Énergie dans le monde« . Ce rapport annuel est l’un des plus utilisés et des mieux sourcés au monde. Il est volumineux, très complet et compte cinquante pages, trente-trois tableaux et quarante graphiques. Le rapport traite la plupart des tendances importantes de l’énergie mondiale. La plupart. Mais il y a une tendance cruciale qui en était complètement absente…

La statistique de base sur les combustibles fossiles que je recherchais, en tant que journaliste sur le climat, était manifestement absente : Quelle quantité de combustibles fossiles le monde brûle-t-il chaque année ? Question très simple, et pourtant se pencher dessus nous révèle l’une des réalités les plus importantes de ce monde : sommes nous oui ou non en train de tourner la page de notre dépendance aux énergies fossiles ?

Pour connaître cette donnée manquante, j’ai du télécharger et combiner plusieurs feuilles de données BP, faire des calculs, puis créer mes propres graphiques afin de mettre à jour les tendances. Et voici (roulement de tambour, s’il vous plaît) les « graphiques manquants » et ce qu’ils ont à nous dire…

[spacer height= »20px »]

Les graphiques manquants : combien de combustibles fossiles carbonés l’humanité́ brûle-t-elle aujourd´hui ? 

J’ai construit trois graphiques en utilisant les données compilées de BP sur les combustibles fossiles. Le premier graphique montre l’énergie totale tirée de combustibles fossiles chaque année.

[spacer height= »20px »]

Fig. 1 : Consommation mondiale de combustibles fossiles 1990 – 2016. Milliards de tonnes equivalent pétrole (tep). SOURCE : somme des consommations en pétrole, gaz et charbon listées dans la Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Comme vous pouvez le voir, la quantité que nous brûlons continue d’augmenter.

L’année dernière, l’humanité a établi un nouveau record en énergie fossile de 11,4 milliards de tonnes équivalent pétrole (Gtep). Il y a dix ans, nous étions à 10 Gtep d’énergie. En 2000, nous étions à 8 Gtep.

Il n’y a clairement dans ce graphique aucun signe d’inflexion dans notre rapport aux combustibles fossiles.

Mon graphique suivant utilise les mêmes données BP, mais cette fois on montre l’augmentation d’une année à la suivante :

[spacer height= »20px »]

Fig. 2 : Consommation mondiale de combustibles fossiles 1990 – 2016. Evolution annuelle de la consommation d’énergie. SOURCE : somme des consommations en pétrole, gaz et charbon listées dans la Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Au cours de 25 des 26 dernières années, nous avons brûlé plus de combustibles fossiles que l’année qui précédait.

La seule année du dernier quart de siècle où notre consommation présentait une baisse était 2009. La cause était une forte récession mondiale. Et en moins d’un an, ce rare répit a été balayé par l’augmentation massive qui a suivi.

Malheureusement, il n’y a aucun signe d’inflexion non plus dans ce graphique.

Prenez l’année dernière par exemple. L’augmentation n’était pas particulièrement importante, mais elle nétait pas particulièrement faible non plus. En fait, elle était très proche de la moyenne durant les années 1990. Et les années quatre-vingt-dix ne représentent certainement pas une période de baisse de la consommation d’énergies fossiles. Et elles n’incarnent pas non plus un tournant dans notre lutte contre le changement climatique ou l’acidification des océans. Les années 1990 c’était « Business As Usual ».

Enfin, voici une troisième représentation des mêmes données BP. Celle-ci illustre la part des combustibles fossiles dans l’énergie mondiale. Inflexion ?

[spacer height= »20px »]

Fig. 3 : Consommation mondiale de combustibles fossiles 1990 – 2016. Pourcentage de la consommation totale d’énergie. SOURCE : somme des consommations en pétrole, gaz et charbon listées dans la Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Ce que ce tableau dit, c’est que les combustibles fossiles sont encore totalement dominants dans la consommation mondiale d’énergie. Même après 25 ans d’effort global pour transitionner vers des énergies plus sûres, on n’observe pas la moindre inflexion significative de la domination des combustibles fossiles.

Mis ensemble, ces trois graphiques « manquants » des données BP sur les combustibles fossiles – des quantités toujours croissantes; augmentant chaque année; et maintenant une domination écrasante – peignent un tableau consternant de la fort médiocre réponse de l’humanité àla menace croissante.

Comme l’a regretté le gouverneur de Californie, Jerry Brown, dans une récente interview au New York Times : « Aucune nation ou Etat n’est en train de faire ce qu’il devrait. Ceci est très grave, et la plupart des gens le prennent beaucoup trop à la légère vue la gravité de la menace. On ne saurait trop en faire pour sonner l’alarme, car pour l’instant la réponse n’est pas du tout à la hauteur du défi. »

Ces trois graphiques manquants illustrent très clairement l’insuffisance de notre réponse. C’est peut-être pour cela que BP (en définitive, une société pétrolière et gazière) les a omis dans son rapport.

[spacer height= »20px »]

Pétrole, gaz et charbon : les cinq dernières années.

J’ai commencé à creuser les données de BP parceque j’avais lu bon nombre d’articles proclamant qu’un changement fondamental dans l’utilisation des combustibles fossiles était en cours, et je souhaitais en juger par moi-même. Etant incapable d’en déceler le moindre signe dans les données sur les combustibles fossiles présentées ci-avant, j’ai décidéde décortiquer séparément les cas du pétrole, du gaz et du charbon, pour les cinq dernières années.

Si nous sommes vraiment à un tournant dans notre utilisation des combustibles fossiles, nous devrions pouvoir en voir la manifestation dans les données de pétrole, gaz et charbon de BP pour les cinq dernières années. Examinons donc ces éléments un par un.

Je commencerai par le plus important : le pétrole.

[spacer height= »20px »]
La dépendance au pétrole fossile en ascension fulgurante

Mon graphique sur la droite montre l’augmentation de la consommation mondiale d’énergie au cours des cinq dernières années. Les énergies renouvelables sont en vert et le pétrole en noir.

Observe-t-on la moindre inflexion ?

[spacer height= »20px »]

Fig. 4 : Consommation mondiale d’énergie 2011 – 2016. SOURCE : Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Pour aggraver les choses d’un point de vue climatique, une analyse réalisée par ARC Energy Institute montre que l’efficacitédu pétrole dans l’économie mondiale s’est également considérablement dégradée au cours des dernières anneés. En d’autres termes, l’humanité a fait marche arrière et brûle à présent chaque année plus de pétrole par dollar de PIB que l’année précédente.

Ils concluent : « Les gros titres dans les médias sur les voitures électriques et la réglementation du carbone suggèrent que notre dépendance au pétrole est sur une pente descendante glissante. Les données récentes de 2016 suggèrent le contraire : notre addiction, à l’échelle mondiale, augmente ».

N’ayant trouvé aucun signe d’inflexion dans l’utilisation du pétrole, examinons à présent le gaz naturel.

[spacer height= »20px »]

L’expansion du gaz fossile en passe de rendre l’échec climatique inéluctable.

[spacer height= »20px »]

Fig. 5 : Consommation mondiale d’énergie 2011 – 2016. SOURCE : Revue Statistique de BP sur l’Énergie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

J’ai rajouté le gaz naturel à mon tableau et… aïe. Il semble que l’augmentation récente de la combustion de gaz naturel a pratiquement égaléla progression effarante du pétrole.

En effet, notre utilisation de gaz fossile a augmenté beaucoup plus vite que celle du tandem de l’espoir climatique : l’éolien et le solaire, combinés.

Comme le résume Bloomberg New Energy Finance, « l’avenir du gaz naturel est plus radieux que jamais ». BP, Exxon Mobil, Shell et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ont tous publiédes rapports qui corroborent cette vision. Tous projettent que la consommation de gaz fossile continuera à croître encore longtemps dans le futur.

Ce qui est certainement une très mauvaise nouvelle pour le climat et les océans déstabilisés. Le titre d’un nouveau rapport de « Climate Action Tracker » souligne le risque : « Lever le pied sur le gaz : une dépendance accrue au gaz naturel pour l’électricité risque de verrouiller le niveau d’émissions. »

Leur analyse montre que l’investissement croissant dans les infrastructures et la production de gaz fossile peut à elle seule faire échouer l’accord de Paris sur le changement climatique.

Ayant noté l’accélération de la consommation en pétrole et en gaz vers l’échec climatique, penchons-nous a présent sur le combustible fossile restant : le charbon.

[spacer height= »20px »]

Ouf, le charbon, au moins, décline. Vraiment ?

[spacer height= »20px »]

Fig. 6 : Consommation mondiale d’énergie 2011 – 2016. SOURCE : Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

L’ajout des données de BP sur le charbon au graphique nous apporte finalement une lueur d’espoir climatique au milieu des mauvaises nouvelles. Il semblerait que la combustion du charbon ait diminué au cours des dernières années.

Mais est-ce vraiment le cas ? Se pourrait-il que ces statistiques sur le charbon soient erronées ?

Malheureusement, plus j’ai creusé, plus il m’a semblé probable que les chiffres sous-estiment les quantités qui sont réellement brûlées.

Voici quatre raisons percutantes incitant à être très sceptiques sur un infléchissement de la consommation en charbon :

  1. Les données : notre atmosphère n’en présente aucun signe.
  2. L’histoire : la Chine a d’énormes problèmes de sous-déclarations.
  3. La nature humaine : pression croissante à la sous-évaluation, et aucun moyen de vérification.
  4. L’argent : la construction de nouvelles centrales à charbon est en plein essor dans le monde.

Examinons ces quatre raisons à tour de rôle.

Raison n° 1: notre atmosphère n’en présente aucun signe

BP affirme que la baisse déclarée de la combustion de charbon a fait que les émissions mondiales de CO2 ont cessé d’augmenter. Si c’est le cas, alors quelqu’un a oublié de prévenir notre atmosphère.

[spacer height= »20px »]

Fig. 7 : Augmentation annuelle de CO2 atmosphérique. Données NOAA ESRL montrant l’augmentation en patie par million (ppm). www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/. Graphique par Barry Saxifrage dans NationalObserver.com et VisualCarbon.org. Mars 2017.

[spacer height= »20px »]

Au contraire, les niveaux de CO2 dans l’air ont continué d’augmenter à des vitesses records.

Voici un graphique montrant l’augmentation du CO2 pour chaque année depuis 1960. Les deux barres les plus hautes à droite en orange montrent que l’augmentation de CO2 n’a jamais été aussi forte que les deux dernières années.

(Voir l’article annexe : les niveaux de CO2 atmosphérique en pleine accélération, pulvérisant tous records)

Non seulement il n’y a aucun signe d’inflexion dans l’atmosphère, mais l’augmentation des niveaux de CO2 accélère. Mon graphique suivant le montre clairement :

[spacer height= »20px »]

Fig. 8 : CO2 atmosphérique total – Données NOAA ESRL montrant l’augmentation en parties par million (ppm). www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/. Les interpolations décennales indiquent les augmentations moyennes par décade, extrapolées jusqu’à 2030. Graphique par Barry Saxifrage dans NationalObserver.com et VisualCarbon.org. Mars 2017.

[spacer height= »20px »]

Les scientifiques savent mesurer les niveaux de CO2 dans l’atmosphère très précisément. Les données sur le CO2 atmosphérique ne sont pas basées sur des rapports non-vérifiables et potentiellement biaisés produits par des industriels ou des pays – comme le sont les données de BP sur le charbon.

Il est possible que l’énorme désaccord entre notre atmosphère et les déclarations des brûleurs de charbon résulte d’un effet naturel que nous ne comprenons pas.

Pour autant, ce désaccord pourrait aussi résulter d’un comportement humain que nous connaissons et comprenons bien : la sous-déclaration

Raison n° 2 : Le problème de sous-déclaration des émissions de la Chine

La Chine brûle la moitié du charbon mondial. Et elle bataille aussi pour mesurer et signaler avec précision ses émissions.

À quel point les chiffres de la Chine sont-ils inexacts ?

Le New York Times a récemment signalé que les « données sur l’énergie et la pollution de la Chine peuvent être peu fiables voire totalement faussées ».

Les irrégularités récurrentes de comptabilité sont devenues un problème majeur qui menace le déploiement du nouveau marché national du carbone de la Chine. En d’autres termes, ils ne font pas assez confiance à leur comptabilité énergétique pour eux-mêmes se baser dessus.

Un exemple attristant d’erreur passée de comptabilité de la Chine s’est produit il y a quelques années. En 2013 le gouvernement a dû revoir ses estimations de charbon de plus de 600 millions de tonnes par an. Oui, c’est beaucoup !

[spacer height= »20px »]

Fig. 9 : Consommation globale d’énergie 2011 – SOURCE : Revue Statistique de BP sur l’Énergie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Pour mettre ceci en perspective, j’ai ajouté cette quantité à mon graphique sous forme de flèche rouge. Comme on peut constater, elle est deux fois plus grande que la baisse mondiale du charbon cumulée durant ces trois dernières années.

Ah, et avant cette révision de 2013, la Chine en a fait une autre gigantesque.

Une décennie plus tôt, une autre erreur majeure dans la comptabilité sur le charbon chinois « a créé l’impression erronée que la Chine avait réussi à générer de la croissance économique sans augmenter ses émissions ». Mais, en réalité, leurs données sur le charbon étaient sous-déclarées.

Les estimations récentes sur le charbon de la Chine seraient-elles aussi trop faibles ?

Malheureusement, il faudra attendre quelques années avant de le savoir, car la Chine ne déclare ses révisions que tous les cinq ans.

Si leurs chiffres sont à nouveau substantiellement erronés, cela pourrait annihiler d’un seul coup le supposé « infléchissement » mondial du charbon. Cela mettrait les émissions mondiales déclarées de combustibles fossiles plus en accord avec les mesures des scientifiques dans l’atmosphère.

La Chine n’est certainement pas la seule nation dont les chiffres sur le charbon sont inexacts. L’Inde et d’autres font face au même problème. Cela est dû en partie au manque de ressources des pays en développement. Et d’autre part, cela résulte aussi de la pression croissante à sous-déclarer, comme nous allons le voir maintenant.

Raison n° 3: La pression croissante à sous-déclarer et l’impossibilité de s’en rendre compt

Alors que les impacts du changement climatique et de la pollution de l’air continuent de s’aggraver, la pression croissante pousse de plus en plus les gouvernements et industries qui traînent des pieds à mitonner leurs statistiques, afin d’avoir l’air d’agir plus vigoureusement qu’ils ne le font réellement.

Ceci se produit partout dans le monde, pas seulement en Chine. Par exemple, le scandale Volkswagen, qui continue de se répandre, sur les dissimulations d’émissions, a révélé un effort généralisé et intentionnel pour sous-déclarer les émissions àéchelle globale. Et cette tricherie s’est produite dans une industrie très réglementée avec des tests de vérifications obligatoires

Caixin rapporte un autre exemple récent en Chine : « Des inspections récentes du ministère de l’environnement ont révélé qu’un tiers des fabricants en Chine du Nord avaient falsifié des données d’émissions afin d’éviter des pénalités lourdes ».

Il existe à présent des « entreprises artisanales » de falsification des chiffres. Et cette tricherie a également eu lieu au sein d’une industrie réglementée avec des tests de vérifications obligatoires.

Considérons à présent la combustion du charbon. La pression pour la réduire est de plus en plus forte à cause de la pollution toxique de l’air, les engagements de l’accord de Paris, l’aggravation du changement climatique et la crise émergente d’acidification des océans. Il faut aussi noter que, contrairement à ces autres cas de triches, il n’existe aucun moyen de vérifier les déclarations sur la combustion du charbon.

Scientific American avertit : « le monde a besoin d’un moyen de vérifier que les nations appliquent leurs promesses de réduction d’utilisation du charbon… L’incapacité actuelle de vérifier qu’une nation a tenu ses engagements de réduction d’émissions est une vieille faille qui, selon les experts, doit impérativement être colmatée pour que l’accord global (de Paris) puisse être efficace ».

Le New York Times a couvert le sujet des contrôles en Chine: « Comme d’autres pays, la Chine, le plus grand pollueur au monde, a refusé d’accepter une surveillance internationale de ses émissions et dit qu’elle fournira des données à des observateurs extérieurs. Par le passé, des données contradictoires sur l’utilisation d’énergie dans le pays a soulevé des doutes sur leur fiabilité… En outre, il existe des différences persistantes entre les statistiques de consommation de charbon déclarées aux niveaux provincial et national ».

De vastes tricheries sur les déclarations d’émissions se produisent même dans des secteurs fortement réglementés avec des tests de vérifications obligatoires. Il est d’autant plus tentant de sous-déclarer l’utilisation du charbon que les statistiques sont principalement auto-déclarées et qu’il n’y a aucun moyen pour les entités externes de les réfuter.

Raison n° 4: Le boom mondial des nouvelles centrales à charbon  

Une dernière raison d’être sceptique quant à une baisse de la consommation de charbon est le boom de la construction de centrales à charbon dans le monde.

Si l’humanité est vraiment à un tournant pour le charbon, pourquoi alors les investisseurs sont-ils en train d’investir des centaines de milliards de dollars pour augmenter la capacité mondiale de production de charbon de 43 % ?

Cette statistique déprimante provient de la base de données sur le charbon compilée par le groupe allemand Urgewald. Un article récent dans le New York Times donne à réfléchir, et laisse peu de doute quant à l’ampleur de l’expansion actuelle de la consommation de charbon. Ce boom mondial du charbon est mené par des entreprises chinoises, mais elles ne limitent pas leurs activités à la Chine. Des nations sans antécédents de combustion de charbon sont en passe de rejoindre le club, pour la première fois.

Cette inadéquation entre les promesses climatiques visant à réduire les combustibles fossiles et les financements injectés dans les combustibles fossiles se produit partout dans le monde.

Un nouveau rapport conjoint mené par Oil Change International, « Parler ne coûte rien : comment les gouvernements du G20 financent la catastrophe climatique », résume bien la situation. « De tous les financements publics pour l’énergie avancés par les institutions du G20 et les banques multilatérales de développement entre 2013 et 2015… 58% étaient destinés aux combustibles fossiles ».

[spacer height= »20px »]

Fig. 10 : Dépense publique par type d’énergie. Source : Rapport « Parler ne coûte rien » de Oil Change International sur priceofoil.org/2017/07/05/g20-financing-climate-disaster/ Juillet 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org et NationalObserver.com. Juillet 2017.

[spacer height= »20px »]

J’ai créé le graphique à droite à partir des données de ce rapport. Il montre les quatre nations ayant destiné le plus de financements publics aux combustibles fossiles entre 2013 et 2015.

Chacune d’entre elles a injecté beaucoup plus d’argent dans les combustibles fossiles que dans toutes les autres sources d’énergie combinées.

Regardons juste la Chine. Ce ne sont pas moins de 90% des dépenses gouvernementales pour l’énergie qui ont été consacrées aux combustibles fossiles.

Le rapport « Parler ne coûte rien » indique que la Chine a dépensé plus pour le charbon que pour toutes les sources d’énergie non-fossiles combinées. Une inflexion ?

Même sous l’ancien président américain Barack Obama, un important promoteur de l’action climatique, les Etats-Unis ont dépensé plus d’argent public pour les combustibles fossiles que pour toutes les alternatives combinées.

Les combustibles fossiles contre l’espoir climatique.

Il est difficile pour moi de voir une quelconque bonne nouvelle pour le futur du climat ou des océans dans les dernières données énergétiques de BP. Il n’y a aucun signe d’inflexion de notre dépendance aux combustibles fossiles. Voici à nouveau le premier des « graphiques manquants » qui révèle tellement clairement notre demande toujours croissante en combustibles fossiles.

[spacer height= »20px »]

Fig. 11 : Consommation mondiale de combustibles fossiles 1990 – 2016. Milliards de tonnes equivalent pétrole (tep). SOURCE : somme des consommations en pétrole, gaz et charbon listées dans la Revue Statistique de BP sur l’Energie dans le monde, Juin 2017. Graphique par Barry Saxifrage dans VisualCarbon.org. Juin 2017.

[spacer height= »20px »]

Même en relatif, la combustion des combustibles fossiles continue de dominer de manière écrasante la consommation mondiale d’énergie. Des décennies d’efforts pour transitionner vers des sources plus sûres ont à peine entaméla part des combustibles fossiles, qui continue de planer au dessus des 85%.

Lorsque nous analysons plus précisément les tendances récentes du pétrole et du gaz, c’est encore plus décourageant. La combustion de ces énergies fossiles carbonées continue d’augmenter vertigineusement, dépassant largement le progrès des alternatives plus sûres. Les rapports montrent que ces deux poussées menacent de « verrouiller » toute possibilité d’éviter l’échec climatique.

Le seul point d’espoir possible pour notre climat et nos océans est dans les données sur la combustion récente du charbon. Mais ces données sont les plus susceptibles d’être sous-déclarées. La combustion du charbon a été massivement sous-déclarée par le passé. A plusieurs reprises. Et maintenant, avec la pression montante, de plus en plus de nations et d’industries ont un intérêt marqué à sous-déclarer. Elles courent un risque très faible d’être attrapées si elles le font. Ceci, parce que le monde n’a aucun moyen pour vérifier la majeure partie des déclarations mondiales sur le charbon.

Pendant ce temps, la construction de centrales à charbon continue d’exploser dans le monde et les niveaux de CO2 dans l’atmosphère continuent d’augmenter, en accélérant.

Si nous voulons un climat et des océans hospitaliers, les données sur les combustibles fossiles suggèrent que nos efforts jusqu’à présent sont très largement insuffisants. Selon les mots du gouverneur de Californie Jerry Brown, « On ne saurait trop en faire pour sonner l’alarme, car pour l’instant la réponse n’est pas du tout à la hauteur du défi. »

30 comments on “Ces « graphiques manquants » pourraient changer votre manière de voir notre addiction aux combustibles fossiles”

  1. Lanéry dit :

    Puis je publier cet article sur mon mûr ?

    1. Vincent Mignerot dit :

      Oui bien sûr 🙂

      1. Léon dit :

        Vous disiez dans une de vos conférences ne pas chercher à réduire votre train de vie ni vos activité: ces courbes reflètent bien une généralisation de votre tendance. Par conséquent elle vous donne entièrement raison: pourquoi se priver.

        1. Julien Armijo dit :

          Ca me semble fort étonnant que vous ayez entendu ca de Vincent… Il semble y avoir malentendu, au moins partiel. L’asso Adrastia promeut des pistes pour une transition la moins violente possible, par exemple, elle
          soutient le développement des low-techs, qui sont clairement une stratégie pour baisser « notre train de vie »…

  2. Karine dit :

    Bonjour,
    Pouvons-nous également diffuser l’un ou l’autre graphique sur notre mur, en vous citant comme source, évidemment?

    1. Vincent Mignerot dit :

      Oui sans problème, nous sommes favorables à la circulation de l’information 🙂

  3. Bertrand Cassoret dit :

    Article très pertinent et réaliste : les renouvelables et l’efficacité énergétique ne suffisent pas à faire baisser la conso de fossiles.
    Je vais me faire assassiner si je dis que le nucléaire pourrait aider ?

    1. Oliv dit :

      Assassiné, sûrement pas ! (en tout cas j’espère…)

      Gardons à l’esprit que les ressources énergétiques fossiles ne sont pas qu’énergétiques. Elles sont substituables par du nucléaire, des renouvelables quand elles sont utilisées comme source d’énergie pour produire de l’électricité. D’autres domaines d’utilisation (la production de plastiques notamment) restent (malheureusement) encore et toujours un poste de consommation non négligeable et où le pétrole ne sera que difficilement substituable.

      Une fois cela pris en compte, profiter des « bénéfices climatiques » du nucléaire et des renouvelables suppose de passer par l’électrification des transports, du chauffage… ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes de ressources (cobalt, lithium, nickel dans les véhicules électriques, cuivre dans les infrastructures de transport de l’électricité…)

      Cela dit, rien ne vaut un bon changement des modes de vie, vers plus de raison et moins de folie consumériste, vous ne trouvez pas?

    2. Philippe dit :

      Pas d’assassinat s’il vous plait.

      Pour ma part, je voudrais qu’on ferme définitivement tous les réacteurs nucléaire dans les trois ans (comme le suggère Yves Cochet). Le nucléaire m’a fait peur pendant 40 ans. Aujourd’hui, dans une perspective crédible d’effondrement économique, il me terrorise.
      Je pense qu’il sera difficile de trouver tout le personnel nécessaire pour assurer la sécurité des installations et du démantèlement, lorsque plus aucun salaire ne pourra être versé.
      En d’autre termes, peut-on garantir la sécurité nucléaire dans le chaos (social et politique) ?

  4. EPA dit :

    Article intéressant !
    Dans un autre registre, pourquoi ne pas rapporter ces quantités d’énergie au nombre d’habitant soit en TEP/capita?
    Paramètre essentiel dans la croissance des consommations énergétiques à mon sens.

    1. Julien ROBERT dit :

      Malheureusement, on bout du compte, le climat ne « voit » que l’absolu et pas le relatif. Autrement dis, c’est la somme des impacts individuels qui compte pour le climat (et les conséquences pour nous tous·tes) et non les impacts individuels pris au cas par cas (même par continent, pays, ville…).

      1. Michel CHENEBEAU dit :

        Pour compléter le commentaire de Julien, il faut également, situer la place de la France et de l’Europe dans les consommations fossile (environ 1,8 % pour la France et 12 % pour l’ensemble de l’Europe) autant dire que même si nous étions vertueux, le réchauffement climatique dépend très peu de la France et peu de l’Europe. Notre rôle ne peut se borner qu’à donner l’exemple, ce qui n’est même pas le cas, car nous avons en grande partie exporté nos pollutions.

  5. Bertocchi dit :

    Article époustouflant. Intuitivement je ressens wu’on consomme de plus en plus d’énergie fossile..

  6. Haag Louis dit :

    Bonjour,

    J’aimerais traduire en anglais cet article et le publier sur mon blog en vous citant comme source, est ce possible ?

    Merci

    Louis

    1. Vincent Mignerot dit :

      Bonjour,

      L’article source, en anglais, se trouve ici, n’hésitez pas à le diffuser :

      https://www.nationalobserver.com/2017/07/13/analysis/these-missing-charts-may-change-way-you-think-about-fossil-fuel-addiction

      Merci à vous !

  7. Denis dit :

    Bonjour,

    Pour présenter son livre « Décadence » Michel Onfray disait : « La civilisation s’en va et il n’y a plus grand chose à faire que d’assister au naufrage de ce navire. »

    La décadence de l’homme moderne, empêtré dans sa prospérité jusqu’à programmer son suicide, n’a de limite que celle que la terre tente de lui montrer !
    En s’affranchissant des limites que la nature montre à ceux qui veulent bien les voir, l’homme moderne se place lui-même au 1° rang du spectacle affligeant de son absurde déraison.
    L’espoir est dans la citation de Eugène Delacroix : « L’adversité rend aux hommes toutes les vertus que la prospérité leur enlève. »

  8. jacques pinchard dit :

    à l’initiative de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou,et de leur livre préfacé par Nicolas Hulot

    150 personnalités européennes : Edgar Morin, Marie-Monique Robin, Jean-Louis Etienne, Audrey Pulvar, Eric Osonna, Fred Vargas, Jon Palais, Isabelle Thomas, Yann Arthus Bertrand, Suzanne Georges, Matthieu Ricard, Mgr Marc Stenger, Delphine Batho, Cyril dyon, Joel Labbé, Anne Hidalgo, Romano Prodi, Manuela Carmela, Pervenche Berès, Pascal Lamy … ont signé l’appel pour un #PacteFinancesClimatEuropéen. … Climat2020, une initiative pour soulever 1000 milliards d’investissement, stopper le réchauffement et gagner la bataille du climat.

    1. rémi koller dit :

      1000 millards, financés comment? j’ai posé la question à M. Lourrouturou et M.Jouzel, lors d’une conférence à Bruxelles. Émission de monnaie par la BCE…
      càd augmentation d’autant de la bulle spéculative, de la dette, bref user de la monnaie qu’on n’a pas, et au bout de la roue, il faudrait qu’une soit disant croissance, encore à définir, vienne éponger ces 1000 millards. Course folle vers nulle part, le Roi est nu, regardons le.

  9. Cyril Retourné dit :

    quelques approximations dans cet article :
    – les émissions indirectes de CO2 dues notamment à la déforestation ne sont pas du tout évoquées comme pouvant influer sur la correspondance entre mesures et émissions déclarées. Ces émissions indirectes sont très difficiles à évaluer et une marge d’erreur importante existe sur ces valeurs.
    – A propos des consommations énergétiques, tout n’est pas brûlé puisque environ 9% (2015) de l’énergie finale sert à des usages non énergétiques (essentiellement des produits pétroliers raffinés).
    « Combustibles » et « brûler » sont donc plutôt des termes impropres même s’il s’agit de l’essentiel de leurs applications.
    – Une explication de la hausse des constructions de centrales à charbon (c’est vrai également pour le gaz) est à chercher dans la hausse de la pénétration de renouvelables non-pilotables (éolien, vent) dans les mix électriques de différents pays.
    Ces moyens ont pour « mission » de suppléer l’absence de production de ces « non-pilotables ». On doit les prévoir bien qu’il ne soit pas envisager de s’en servir (!), un peu comme, par exemple, les groupes électrogènes des installations solaires autonomes (refuges entre autres…).

  10. joletaxi dit :

    Selon les mots du gouverneur de Californie Jerry Brown, “On ne saurait trop en faire pour sonner l’alarme, car pour l’instant la réponse n’est pas du tout à la hauteur du défi.”

    il est dans le camp du bien le gouverneur

    http://www.climatedepot.com/2018/01/11/report-no-american-politician-has-killed-more-clean-energy-than-gov-brown-benefited-his-own-family-financially/

    comment disent les anglais
    à prendre avec une pincée de sel

    là toute la salière va y passer

  11. Ping : Perspectives d’effondrement – L'Insatiable
  12. ALIN JAVIER dit :

    Un rapport qui écarte toute illusion d’atteinte des objectifs à moyen terme…Il va falloir changer de vie sous assistance thermique et respiratoire , la mutation en perspective sera générale et humaine ou ne sera pas !

  13. La monnaie libre (par opposition à la monnaie dette) est une alternative en cours d’installation en occitanie (déjà testée pendant plusieurs années) qui permettra que le système actuel se casse la figure mais sauvera la face de l’humanité sans trop de casse mais évidement une prise de conscience doit se faire aujourd’hui.
    http://www.monnaielibreoccitanie.org

  14. Le-Kube dit :

    Bonjour,

    Je navigue sur le site depuis des heures et c’est le premier article que je trouve décevant.
    Je le trouve alarmiste par défaut de rigueur scientifique, je m’explique :
    Oui il est intéressant d’avoir la quantité totale de ressources fossiles brulées (bien que le chiffre ne parle pas au commun des hommes). En revanche l’utiliser pour parler de la tendance à notre consommation est totalement faux, il faut absolument le ramener au nombre d’habitant ! Si notre consommation nette augmente mais que la population augmente aussi alors on peut très bien avoir en fait une stagnation, voire diminution (ou au moins diminution de l’augmentation) de la consommation de ressources fossiles.

    A bon entendeur

  15. Boulzaguet dit :

    Bonjour,

    J’ai regardé par curiosité sur 2 échantillons.

    1990 : 5 309 668 000 humains pour 7milliard de tonnes de consommation = 758Kg/habitant

    2015 : 7 349 472 000 pour 11.4 milliard de tonnes consommé = 645kg/habitant

    Ca baisse par habitant, mais ça ne change rien pour le climat.

  16. Marc dit :

    en réponse à Cyril Retourné
    il faut séparer le monde en 2 :
    – ceux qui ont déjà une consommation électrique importante : non on ne construit pas en france ou en Allemagne une nouvelle centrale à charbon à chaque fois qu’on installe du renouvelable. le mythe du « augmentation du charbon est totalement faux dans les pays à haute consommation électrique ».
    – ceux qui ont une consommation électrique modeste. s’ils n’installent pas de renouvelable, alors ils ferront du 100% fossile comme nous l’avons fait avant eux. donc là aussi, on ne construit pas de nouvelle centrale au charbon parce qu’il y a du renouvelable mais simplement parce qu’il y a augmentation (massive) de la consommation électrique dans ces pays qui aspirent à pouvoir gaspiller autant que nous (Et qui sommes nous pour leur dire qu’ils doivent se calmer quand nous le faisons si peu ?)

  17. POIX dit :

    Merci pour cet article très clair. Il serait intéressant de voir comment se comporte la France dans ces sujets. Particulièrement sur la dépense publique par type d’énergie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *