Industrie pétrolière: les derniers feux?

Cet article est la retranscription, réalisée par Adrastia, de la seconde partie de l’émission « Magazine du week-end » de Julie Gacon, du 15 août 2020. Cette émission est accessible en réécoute sur le site de France-Culture.

Avec Mathieu Auzanneau, directeur de The Shift Project et Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des questions d’énergie.

Julie Gacon
Donald Trump a donné ce jeudi un quasi blanc-seing à l’industrie pétrolière pour ses rejets de méthane, ce puissant gaz à effet de serre que les producteurs d’or noir laissent parfois fuiter, notamment quand ils abandonnent des puis sans les sécuriser. Donald Trump a donc annoncé réduire les contrôles de ces fuites, manière de soutenir l’industrie nationale très touchée par l’effondrement des cours du pétrole pendant la crise sanitaire. Cette décision de Donald Trump, qui était en réflexion depuis plus d’un an, est-elle en mesure d’aider une industrie pétrolière mal en point et qui exactement au sein de cette industrie ?

Mathieu Auzanneau
Non, ce n’est pas ça qui va sauver l’industrie pétrolière américaine de la crise extrêmement profonde qu’elle traverse du fait de la pandémie. C’est une toute petite bouée de sauvetage.

Julie Gacon
C’est une décision électoraliste en fait ?

Mathieu Auzanneau
C’est largement ça, oui, je pense que c’est largement ça qu’il y a derrière. Vous avez un certain nombre d’états, du sud en particulier, Texas, Oklahoma, où l’industrie et l’électorat qui est derrière est très puissant, très important, en termes de voix et surtout en termes de soutien financier. Je pense que c’est un signe symbolique envoyé en direction des pétroliers indépendants. Il faut signaler que les grandes compagnies pétrolières américaines ne saluent pas ce blanc-seing qui a été donné, puisqu’elles-mêmes font, ou en tous cas elles affichent qu’elles font des efforts pour contrôler les fuites de méthane tout au long de leur chaîne de production.

Julie Gacon
Comment vont-elles faire leur greenwashing ces compagnies pétrolières, ça leur coûtait vraiment cher ces contrôles de fuite du méthane ?

Francis Perrin
Toute réglementation environnementale a un coût, bien sûr. Ensuite, ça ne veut pas dire que c’est ce coût qui met en danger l’industrie pétrolière américaine, loin de là, notamment les plus grands acteurs de cette industrie. Comme l’a rappelé Mathieu Auzanneau, il y a différents secteurs dans l’industrie pétrolière. Il y a ce que l’on appelle les « majors », les plus grandes compagnies pétrolières mondiales, dont les américaines évidemment, c’est Exxon Mobil, numéro un, c’est Chevron, numéro deux, etc., et puis vous avez d’autres compartiments de sociétés moyennes, plus petites, qu’on appelle souvent « indépendants » qui n’ont évidemment pas la même puissance financière que les majors pétrolières. Donc avec ou sans Donald Trump, Exxon Mobil ne va pas faire faillite en 2020 ni en 2021 ni en 2025, parce qu’Exxon Mobil a les reins financiers très solides. Par contre d’autres acteurs sont en difficulté en 2020, non pas avec cette réglementation environnementale, mais avec les conséquences du Covid-19, et ces conséquences sont doubles pour l’industrie pétrolière : baisse de la consommation pétrolière mondiale et chute des prix. C’est ça qui est important, beaucoup plus que ce que vient d’annoncer Donald Trump, et ça doit être replacé dans un contexte plus large. Le New-York Times a publié récemment un article intéressant où il a montré que, depuis que Donald Trump est arrivé à la Maison Blanche, début 2017, il y a une centaine de réglementations environnementales (pas seulement liées au pétrole, globalement : infrastructures, pétrole, charbon, chasse, pêche, etc.) qui ont pour partie sauté (trente-deux selon le compte du New-York Times) et d’autres que l’administration est en train d’essayer de faire sauter. Mais ça c’est un point-clé de la politique de Donald Trump et de son administration depuis 2017. Donald Trump l’a dit à plusieurs reprises, il y a trop de réglementation aux États-Unis, pas seulement du pétrole et du gaz, donc il faut supprimer ces réglementations dont beaucoup sont inutiles, trop coûteuses pour l’industrie. Cette dernière décision s’inscrit plus dans cette volonté de déréglementation de l’économie américaine que seulement par rapport à l’année 2020.

Julie Gacon
Alors je ne sais pas si l’industrie pétrolière a les reins aussi solides, comme vous le disiez, mais Le Monde a fait le calcul cette semaine de l’ensemble des pertes accusées par les cinq plus grandes compagnies pétrolières, que ce soit la française Total, la britannique BP, les américaines Chevron et Exxon Mobil, l’anglo-néerlandaise Shell. A elles cinq, elles enregistrent, pour le seul deuxième trimestre de cette année, 53 milliards de dollars de pertes. C’est un secteur qui est habitué aux oscillations, mais depuis le temps que vous travaillez sur les questions d’énergie, est-ce que vous aviez déjà vu ça ?

Francis Perrin
Alors bien sûr, le deuxième trimestre c’est le printemps meurtrier, c’est clair. Pour une raison très simple, c’est que c’est la période la plus dure en termes d’impact économique du Covid-19, avec des politiques de confinement, de part et d’autre de la planète, qui à un moment donné, selon les estimations de certaines agences de presse, ont touché plus de quatre milliards de personnes.

Julie Gacon
On s’est beaucoup moins déplacé en voiture, l’activité économique a reculé, évidemment.

Francis Perrin
Confinement des populations, donc vous ne vous déplacez pas, donc vous consommez moins de carburant pétrolier, donc la consommation pétrolière mondiale chute, donc évidemment le secteur pétrolier, mais plein d’autres secteurs aussi, accumule les pertes. Donc c’est un trimestre tout à fait exceptionnel, sauf que, au troisième trimestre et au quatrième trimestre de l’année 2020 (sauf si on est dans un scénario de reconfinement généralisé que tout le monde cherche à éviter), les résultats des compagnies pétrolières seront meilleurs qu’au deuxième trimestre et qu’au premier trimestre. Vous avez rappelé les montants des pertes des cinq plus grandes compagnies pétrolières mondiales, évidemment le chiffre est impressionnant, sauf qu’aucune de ces cinq compagnies n’est en danger de faire faillite.

Julie Gacon
Question de néophyte : on vient d’expliquer que la baisse de consommation de pétrole provoque immédiatement une baisse de la production de pétrole. Comment cela se fait que ce soit aussi immédiat, sachant qu’on nous dit par ailleurs que les stocks sont énormes ?

Mathieu Auzanneau
Il y a un ajustement. Il faut rappeler que l’effondrement de la demande, c’est quelque chose, par sa brutalité et son ampleur, qu’on n’avait jamais vu dans l’histoire. Donc il y a beaucoup de producteurs, des gros, des petits, des nationaux, des très locaux, qui ont fermé les vannes pour limiter les pertes, dans un contexte où les stocks étaient déjà très élevés. Pour les pays de l’OPEP, pour la Russie, tout comme pour les petits producteurs aux USA, c’est une très mauvaise idée de se dire « je ne vais pas réduire ma production » à un moment où les stocks étaient très élevés et où la demande s’est effondrée.

Julie Gacon
Quelles autres décisions ont dû être prises par ces industries ? Donc de réduire la production immédiatement, mais par ailleurs, sur les investissements d’avenir, est-ce que c’est toujours aussi intéressant aujourd’hui pour les compagnies pétrolières d’investir par exemple dans l’exploration de nouveaux champs pétroliers ? Est-ce que vous avez vu des compagnies prendre des décisions radicales là-dessus ?

Mathieu Auzanneau
Oui, très radicales, et à nouveau sans précédent. En gros, tout ce qui est investissements de long terme, en particulier dans l’offshore où il faut avoir de la visibilité sur plusieurs années parce que ce sont des investissements à la fois très importants et très longs à développer avant de pouvoir produire le pétrole. Ce sont des investissements qui ont été très fortement réduits en particulier par les grandes compagnies privées occidentales internationales. Et cela pose un problème de pérennité, à mes yeux, de la production future. Les investissements étaient compliqués à financer avant la crise du Covid, cette situation a été aggravée. Il y avait des questions qui se posaient sur la capacité de l’industrie mondiale à continuer à assouvir la demande pétrolière à moyen terme. L’Agence Internationale de l’Énergie a pointé ce problème d’un manque d’investissements dans des pétroles qui sont de plus en plus coûteux et complexes à aller chercher. Cette situation a été considérablement aggravée par la crise du Covid au cours de laquelle, pour réduire leurs pertes, de très nombreuses compagnies pétrolières ont réduit drastiquement leurs investissements. Cela veut dire qu’on est dans une situation où malgré les engagements climatiques, on n’est toujours pas sevrés du pétrole, on n’a toujours pas commencé la cure de sevrage, et on a des « dealers de pétrole », si j’ose l’analogie, des compagnies pétrolières qui ne sont pas du tout sûres de pouvoir assouvir la demande dans les années futures. Ça, c’est une situation très périlleuse à nos yeux, au Shift Project. On a l’impression qu’on est rentrés dans une zone marécageuse dans laquelle, au nom de climat, on ne fait pas ce qu’il faut, et en même temps on a le spectre de contraintes sur les approvisionnements futurs qui feraient l’effet, sur un organisme accro au pétrole, d’une cure de sevrage subite et brutale.

Julie Gacon
Quels vont être les effets de la chute des prix du pétrole ? Certes, les prix du pétrole finissent toujours par remonter, l’histoire nous l’a appris, ils ont remonté depuis la fin de la crise sanitaire, mais ils ne sont pas à leur niveau d’avant. Quels effets à long terme de cette chute des prix ? Dans un premier temps, on peut dire qu’elle va rendre les énergies fossiles encore plus compétitives et qu’on est donc pas du tout sortis de cette dépendance au pétrole.

Francis Perrin
Sur les prix, trois repères de chiffres. Au tout début de l’année 2020, on avait un prix du pétrole Brent, produit en Europe, juste en dessous de 70 dollars par baril. Au mois d’avril, ce même Brent est tombé à 18 dollars par baril. Ce matin, on est à 45. Donc on a beaucoup remonté sur le creux d’avril mais on est encore très en-dessous du niveau du début de l’année.

Julie Gacon
Et encore, sur le marché européen, on n’est jamais passés à des prix négatifs comme cela s’est vu aux USA.

Francis Perrin
Oui, alors ces fameux prix négatifs aux USA il faudrait les relativiser, ça a duré deux jours et c’était sur la bourse de New-York. Même aux USA, quand on s’échangeait vraiment du pétrole physique, pas seulement des titres financiers, le prix a toujours été positif mais il est tombé à un niveau très bas.

Julie Gacon
Ces investisseurs s’en rappelleront longtemps.

Francis Perrin
C’est sans précédent ! Depuis que le NYMEX (cette bourse de New-York sur laquelle on cote le pétrole et d’autres matières premières) existe, on n’avait jamais vu, même pendant deux jours, des prix négatifs. C’est absolument sans précédent, au sens propre du terme. Alors pour les conséquences, il y a le court terme, le moyen terme et le long terme. L’industrie pétrolière et les industries de l’énergie, c’est tout ça en même temps.
Le court terme, c’est 2020. Une année extrêmement difficile mais dont les pétroliers vont se sortir pour une raison très simple, c’est que les prix du pétrole et la consommation pétrolière mondiale ont déjà commencé à remonter. Comme le disait Mathieu Auzanneau, le monde est accro au pétrole. S’il y a des dealers, c’est parce qu’il existe des clients et les clients c’est le monde entier. La consommation mondiale avant le Covid-19 c’est cent millions de barils par jour, soit cinq milliards de tonnes de pétrole par an. C’est gigantesque, c’est la première énergie consommée dans le monde. On n’est pas près, au niveau mondial, de dire « demain, dans un an, dans cinq ans, dans dix ans, on peut se passer de pétrole », parce qu’on ne peut pas se passer de pétrole dans cette échéance de temps-là. A long terme, c’est différent. Donc le court terme, c’est le Covid-19, c’est allé très mal pour les pétroliers au premier semestre, ça va moins mal maintenant et ça va aller mieux, sauf nouveau confinement.
Le moyen terme, c’est la question des investissements. Les prix baissent, on réduit les investissements. On l’avait fait en 2015-2016 lors d’une phase précédente de chute des prix : entre l’été 2014 et janvier 2016, les prix du pétrole avaient baissé de 70% et les compagnies avaient déjà réduit leurs investissements. Moins d’investissement, ça veut dire que dans les années qui viennent, disons 2025, moins de production pétrolière que si on avait maintenu les investissements à un niveau élevé. Donc on revient à ce que disait Mathieu Auzanneau, risque de manque de pétrole par rapport à la consommation mondiale.
Le long terme, c’est évidemment la question du changement climatique pour les décennies qui viennent. L’industrie pétrolière doit tenir compte des difficultés du court terme, du moyen terme et du long terme et ce n’est pas simple.

Julie Gacon
Est-ce que cette crise est l’occasion pour elles de réfléchir au long terme et notamment de rediriger leurs investissements vers les énergies renouvelables ? C’est ce que font de grands pétroliers européens, peut-être moins américains. Vers quoi elles se tournent, les grandes compagnies pétrolières, est-ce que c’est l’occasion de leur tordre un peu le bras, de les inciter à se diriger vers les renouvelables ?

Mathieu Auzanneau
Si tant est que ce soit la question principale. La question principale, ce n’est pas la stratégie des pétroliers, c’est la stratégie des nations qui sont clientes de ces pétroliers. Alors effectivement, certaines grandes compagnies pétrolières occidentales, européennes essentiellement (BP, Shell, Total), tentent de devenir davantage des généralistes de l’énergie plutôt que des pétroliers. C’est une route cahoteuse, pour eux, compliquée. Total investit dans le gaz, Total est aujourd’hui courtier d’énergie en électricité, mais l’essentiel du chiffre d’affaires de ces pétroliers (qui sont pétroliers depuis peu ou prou un siècle) demeure le pétrole. Ce sont des évolutions relativement subsidiaires par rapport à la stratégie de ces pétroliers qui ont besoin, encore pour longtemps, de demeurer des pétroliers.
Ce qui est, à mon avis, plus essentiel comme question, c’est de savoir si on est capables, en particulier nous européens, si on a une stratégie valide pour sortir du pétrole, que ce soit au nom du climat à long terme ou à moyen terme au nom de potentiels problèmes d’approvisionnement qui sont particulièrement aigus pour l’Europe. Il n’a échappé à personne qu’on n’a toujours pas de pétrole et qu’on a un peu de mal à trouver des idées, en particulier en France, sur ces questions de transition énergétique. L’Europe est cernée par des zones pétrolières qui sont en déclin. L’Algérie est un cas d’école, l’Afrique en général connaît une décrue – on le sait peu – de sa production pétrolière pour des raisons physiques, géologiques ou même écologiques. La production algérienne décline, on voit bien que ça pose des problèmes d’approvisionnement pour l’Europe. Si on a suivi ce qui s’est passé au Venezuela, on peut se poser des questions sur la pérennité de l’organisation sociale en Algérie. La Russie, qui est l’un des trois principaux producteurs mondiaux, est en passe d’amorcer un déclin potentiellement irréversible, pour des raisons de limites géologiques de sa production. La Russie, c’est un tiers des approvisionnements pétroliers de l’Europe. Donc il faut ouvrir les yeux, on a longtemps été très naïfs en Europe sur ces questions de transition énergétique, en se disant que c’était pour le climat, uniquement pour des raisons éthiques. Il y a des raisons géostratégiques lourdes qui renforcent la nécessité de sortir du pétrole. Si M. Poutine envoie aujourd’hui ses mercenaires occuper l’un des principaux champs de pétrole de Libye, ou s’il avance ses pions en Irak et en Syrie, c’est tout sauf pour des raisons de pur prestige de l’empire russe. Il y a des éléments fonciers dans la perpétuation de la puissance de certaines grandes nations qui ont été historiquement de grands producteurs pétroliers. Aux USA, Trump a souhaité, dans son programme de 2016, asseoir la domination énergétique des USA. Nous en Europe, on n’a pas d’énergie, on n’a pas ces moyens. Pour nous, c’est une raison supplémentaire de se préoccuper de la pérennité de nos sociétés très dépendantes du pétrole, au-delà de la question du climat.

Julie Gacon
Les pays producteurs, quelles sont leurs stratégies, ils attendent que les prix remontent ?

Francis Perrin
Ils attendent que les prix remontent mais ils ne se contentent pas d’attendre, ils agissent pour que les prix remontent. C’est la fameuse décision de l’OPEP+ (les treize pays de l’OPEP plus la Russie) qui, le 12 avril, a décidé de réduire massivement la production, notamment sur le second trimestre, pour faire remonter les prix. Cette décision a eu des effets sur les marchés pétroliers, je le rappelais tout à l’heure (le Brent à dix-huit dollars en avril, quarante-cinq dollars aujourd’hui). Ce n’est pas suffisant du point de vue des pétroliers, compagnies ou états, mais il y a eu quand même une remontée extrêmement importante depuis le creux d’avril. Donc leur stratégie à court terme, c’est de réduire la production mondiale, ce qu’ils ont commencé à faire, pour rééquilibrer le marché entre l’offre et la demande. Le Covid-19 et le confinement ont fait baisser la consommation pétrolière mondiale, donc les prix s’effondrent du fait d’une surproduction massive, donc on réduit l’offre pour rééquilibrer l’offre et la demande et faire remonter les prix. Raisonnement parfaitement logique à court terme, c’est ce qui est en train de se passer, même si on n’a pas encore rééquilibré le marché au moment où nous parlons.
Pour le reste, sur le long terme, dans ces pays très dépendants du pétrole (rappelons que pour l’Algérie, pétrole et gaz naturel c’est 95% des exportations du pays, et on peut prendre la Libye, le Venezuela ou d’autres, vous avez des pays qui dépendent à 90%, 100% des revenus d’exportations), il y a une réflexion mais pas suffisamment d’action. Quand vous parlez à des dirigeants de ces pays, notamment dans le secteur de l’énergie, vous avez en face de vous des gens qui sont intelligents, qui voient plus loin que le bout de leur nez et qui sont conscients des différents enjeux de moyen et long terme que nous évoquions. Mais ils sont face à de telles contraintes à court terme, avec un pays où toute l’économie – donc la société – repose sur le pétrole et le gaz naturel, qu’ils vous disent « oui bien sûr, il faudrait changer, on va essayer de diversifier, mais on va y aller doucement parce qu’on ne peut pas bousculer des équilibres du court terme ».
Prenez les Émirats Arabes Unis : c’est un des pays qui développe le plus l’énergie nucléaire et l’énergie solaire. Et c’est un grand pays pétrolier et gazier, l’un des pays les plus riches du monde, avec un revenu par habitant beaucoup plus élevé que la France et les pays de l’UE. Donc ils se disent : « le pétrole et le gaz, on en a encore pour longtemps, on n’est pas obligés de se diversifier, mais pour différentes raisons (stratégiques, climatiques, technologiques), c’est bien de montrer qu’on n’est pas seulement un pays qui peut produire du pétrole et du gaz, on va montrer qu’on peut maîtriser le nucléaire et le solaire ». Certains pays ont cette vision, beaucoup d’autres (notamment ceux qui sont les plus dépendants du pétrole et dont l’économie et la société sont les plus troublées actuellement) ont des projets mais pas forcément grand-chose derrière en termes de plans, de stratégies et de décisions gouvernementales qui leur permettraient d’aller résolument vers un avenir énergétique et économique plus diversifié qu’aujourd’hui.

Mathieu Auzanneau
Je pense qu’on peut étendre cette comparaison à la France et aux pays européens qui ont des stratégies tout à fait limitées, parce que (pas dans une mesure comparable à des producteurs nationaux comme l’Algérie) l’état français lui aussi est accro aux ressources fiscales que représente le pétrole. Je pense que c’est tout sauf une raison secondaire, c’est la quatrième source de revenus de l’état. L’état est un peu juge et partie dans cette histoire. C’est trente-cinq milliards par an, un dixième du budget national, c’est colossal. Avoir l’audace d’aller au-delà des péroraisons, des propos de tribune pour dire « oui nous allons être des champions du climat », ça suppose une stratégie foncière bien comprise par nos concitoyens, de long terme, rationnelle, et ça c’est quelque chose qui peut être comparé à une opération à cœur ouvert.

Julie Gacon
D’autant plus que le prix du pétrole aujourd’hui ne favorise pas la transition énergétique.

Mathieu Auzanneau
Oui, cela incite à rester accro. Ce n’est pas pour rien que le pétrole est devenu l’énergie reine : c’est parce que c’est la plus pratique et la moins coûteuse. La transition énergétique, c’est franchir un col historique et ça va être compliqué, il y aura des perdants et il faudra s’occuper des perdants. Toutes les alternatives au pétrole sont plus chères et plus compliquées. On a de très nombreuses raisons d’avoir des conversations adultes sur un sujet qui est un enjeu de pérennité de nos sociétés techniques.

Julie Gacon
Est-ce que c’est nouveau, cette prise de conscience qu’on est accro au pétrole et qu’il faut en sortir ?

Francis Perrin
Non, on le sait depuis des dizaines d’années que l’on est accro, ce n’est pas nouveau. Par contre, la conviction qu’il faut, sinon sortir du pétrole, du moins réduire la part des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) pour faire monter en puissance les énergies non carbonées, pour lutter contre le changement climatique, ça c’est une prise de conscience mondiale plus récente. Il y a une date un peu facile, c’est l’Accord de Paris, la COP 21 en 2015. Ça ne veut pas dire qu’on a tout découvert à Paris, il ne faut pas exagérer, il y avait depuis 1992 la Convention des Nations-Unies sur le changement climatique. Il faut remonter au début des années 90 avec, dans la décennie 2010, un début plus important de mise en œuvre, mais on est très loin du compte aujourd’hui.

Août 2020

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