La crise du PIR : l’équilibre est fragile au bord de l’abîme

pour éviter la crise, la transition énergétique passe par une meilleure isolation des bâtiments

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L’effondrement du système global sera lié à une mosaïque de points bloquants et à leurs boucles de rétroaction. Cas pratique : la transition énergétique passe notamment par l’isolation des bâtiments.

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Les mousses Polyisocyanurate (PIR) sont des isolants hyper performants (coefficient de conductivité thermique λ autour de 0,020 W.m-1.K-1).
Pour une isolation aussi efficace, il faut environ deux fois plus d’épaisseur et donc de matière avec les isolants traditionnels (laines de verre, laines de roche, polystyrènes expansés, polystyrènes extrudés) et près de quatre fois plus avec les matériaux dits écologiques (laines de bois, laines de chanvre, liège expansé, ouate de cellulose).

Aujourd’hui, une « crise » d’approvisionnement en matière première touche cette industrie.
Les prix s’envolent, les ruptures d’approvisionnement se multiplient. Plusieurs usines européennes sont à l’arrêt.

Ci-dessous, un extrait du mail envoyé par un fabricant mondial de panneaux isolants PIR à ses clients :

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« Cher Partenaires,

Je souhaite par ce mail vous informer sur les causes des hausses consécutives du prix du polyuréthane ainsi que sur la situation actuelle du marché.

Tout d’abord, le polyuréthane est composé de 3 composants principaux :

  • MDI (diisocyanate de diphénylméthylène) composant principal entrant dans la composition du PIR pour environ 70%
  • Polyols
  • Pentane (agent gonflant)

Les principaux producteurs :

  • COVESTRO (Bayer) (Allemagne)
  • WANHAU CHEMICAL GROUP (Chine)
  • BASF (Allemagne)
  • DOW CHEMICAL
  • HUNTSMAN
  • BORSODCHEM

La hausse des prix des matières premières et de la pénurie de MDI sont la conséquence d’incidents survenus dans les différentes usines ainsi que de la forte augmentation de la demande sur le marché asiatique et européen.

  • Fin 2016, réduction drastique de la disponibilité de MDI dû à :  
    • Explosion et incendie sur le site de BASF de Ludwigshafen (3 morts et 30 blessés)
    • Explosion et incendie sur le site de Wanhua en Chine (4 morts et 4 blessés)
  • Mise à l’arrêt temporaire de l’usine d’Huntsman (raison inconnue)
  • Forte augmentation de la demande de MDI en Asie principalement mais aussi en Europe
  • La construction de 2 nouvelles usines (BASF en DOW) a pris beaucoup de retard.

L’augmentation du prix du MDI est telle, que nous ne pouvons en tant que fabricant absorber ces hausses ce qui nous impose de répercuter celles-ci immédiatement sur la marché.

Depuis peu, un nouvel évènement vient aggraver la situation. L’un des principaux producteurs mondiaux, Covestro (ex Bayer), rencontre un incident industriel majeur l’obligeant à stopper une partie de sa production. »

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Comme on le voit, il ne s’agit que d’une « crise » qui trouvera sa solution dans la construction des deux nouvelles usines, mais les interrogations qui en découlent sont intéressantes.

L’industrie des isolants de pointe est basée sur quelques installations mondiales fragiles, on l’aura compris, et imbriquées dans la chaîne de transformation pétrochimique. Un nombre restreint d’intervenants est constitué par les hubs qui assurent la fluidité du fonctionnement de toute la chaîne. Le « marché » et, au final, les usagers qui souhaitent réduire leur facture énergétique sont totalement dépendants du bon fonctionnement de l’ensemble de cette chaîne.

Être vertueux énergétiquement implique donc non seulement de rester dépendant du pétrole mais également de la mondialisation de l’économie et par conséquent du système financier qui lui permet d’exister.

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Qu’en est-il des « alternatives » ?

Les laines de bois, de chanvre, les panneaux de liège expansé, la ouate de cellulose ne sont pas directement issus de la chimie du pétrole. Cependant, ils cumulent des désavantages techniques : fortes épaisseurs pour un pouvoir isolant équivalent ; sensibilité à l’humidité qui dégrade encore les performances et réduit leur durée de vie. À cela s’ajoute qu’ils sont également issus d’une industrie qui, si elle est mieux répartie, n’en est pas moins dépendante des transports, de l’énergie pour la transformation et, cerise sur le gâteau, de la chimie pour les process de fabrication.

À ce titre, il y a polémique sur l’impact du bore utilisé dans les laines végétales et la ouate de cellulose. En effet, le bore fort utile pour protéger les matières ligno cellulosique des insectes, des champignons, des rongeurs et pour les ignifuger est également mortel, à des doses facilement atteignables (15 g pour l’adulte, 5 g pour les enfants) et, à des doses nettement plus réduites, irritant des voies respiratoires, irritant cutané et reprotoxique en exposition prolongée.

Sur la question des filières, les principaux pionniers des laines de bois sont tour à tour rachetés par les monstres de l’isolation et des matériaux que sont Soprema et Saint Gobain, alors que la ouate de cellulose n’est qu’une activité minoritaire des non moins monstrueuses industries du papier.

Il serait aussi intéressant de développer la question des approvisionnements en matières premières et les tensions actuelles sur la ressource bois avec la concurrence féroce que se livrent l’industrie du papier, du bois panneaux, du bois énergie en plus des usages plus traditionnels destinés à la construction, mais est-ce bien nécessaire ?

Comme on le voit, l’industrie issue du pétrole qui pourvoit à nos besoins d’isolation ne peut être remplacée par d’autres matériaux écolo/bio sourcés, ces matériaux étant eux-aussi issus des mêmes industries et des mêmes systèmes techniques et financiers.

La question plus large à laquelle la crise du MDI renvoie est celle de la transition et de l’impasse du business as usual. Elle ne porte plus sur les moyens des uns et des autres à s’équiper d’isolants mais sur la question des chaînes d’approvisionnement et de la masse utile, exploitable « durablement ».

La question dès lors qu’on sort des fossiles redevient celle de la concurrence des surfaces de sol entre elles pour la production alimentaire et de biens, qui plus est dans un contexte de modification rapide et chaotique du climat. Il y a fort à parier que cet exemple soit applicable à de nombreux secteurs encore plus sensibles, en particulier les énergies renouvelables ou le high-tech, celui-là même qui vous permet de lire ce texte.

L’isolation des bâtiments, chère à de nombreux partisans de la transition, n’est pas une option soutenable dans un maintien de nos niveaux de vie. Il faut revoir les surfaces par habitant, les températures auxquelles on chauffe ces bâtiments et aussi les outils et énergies pour produire ce chauffage. Et même si on applique des mesures drastiques, nous serons de toute façon confrontés aux limites de la planète et aux liens et interactions du système d’approvisionnement.

Pour le moment tout va bien, enfin pas pour tout le monde mais dans l’ensemble, on s’en sort. Les crises de ce type seront pour quelques temps encore surmontées mais vont à coup sûr se multiplier, sans doute jusqu’au point bloquant.

Il semble déterminant de mettre en place, dès à présent, non pas une démarche de transition mais une démarche de décroissance rapide et irrévocable, abandonnant de fait les croyances en une technologie et aux « solutions écologiques » pour aller vers des économies de productions relocalisées qui tiennent compte des ressources effectives locales et centrées sur les besoins vitaux.

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Notes complémentaires :

La paille et les laines animales sont des isolants peu performants mais particulièrement vertueux en termes d’énergie grise. Ils sont, dans un mode de vie et un système intégré, de bon recours dans l’idée d’une relocalisation des économies et des communautés.

L’énergie grise de la laine de bois (1400 kWh/m3) est supérieure à celle du PIR (1100 kWh/m3) et comparable à la laine de verre, celle de la ouate de cellulose est bonne (150 kWh/m3) mais ne tient pas compte de la collecte et du fait que la ouate est un sous-produit recyclé de l’industrie du papier qui, elle, est désastreuse en terme d’énergie grise et de consommation d’eau.
Celle de la laine de roche est la pire de toutes avec jusqu’à 10 000 kWh/m3.

Produit d’isolation / Performance thermique Lambda sec à 10°C ( λ ).
* les produits à base végétale et animale ont un lambda utile plus élevé (pour tenir compte de la reprise d’humidité), le lambda ci-dessous doit donc être majoré
Laine de verre λ =0.030 à 0.040
Laine de roche λ =0.034 à 0.040
Laine de chanvre λ =0.041 à 0.044
Polystryrène (PSE) λ =0.030 à 0.038
XPS λ =0.029 à 0.035
Plume de canard λ =0.040 à 0.042
Polyuréthane λ =0.021 à 0.028
Fibre de bois λ =0.038 à 0.060
Laine de mouton λ =0.039 à 0.042
Laine de lin λ =0.037 à 0.041
Ouate de cellulose λ =0.038 à 0.040
Laine de coton λ =0.039 à 0.042
Textiles recyclés λ =0.039 à 0.042
Verre cellulaire

λ =0.042 à 0.050

Pascal Tabary
Promeneur des mondes

Défricheur Lowtech
Misanthrope contrarié
Accessoirement, cadre dans l’industrie du PIR

3 comments on “La crise du PIR : l’équilibre est fragile au bord de l’abîme”

  1. Gaussens dit :

    Bonjour, attention, les énergies grises en fin d’article sont indiquées avec des unités de puissance kW (par m3). Cordialement Jean-Pierre Gaussens

  2. Benoit Noel dit :

    Je trouve que le parti pris de cet article et de la ligne éditoriale Adrastia est décroissant, ce qui est intéressant mais manque d’universalité dans la vision, est partial, orienté. Ça peut être assumé ou complété par d’autres visions. Ici on démontre que les isolants naturels conçu dans un contexte de société industrielle consumériste et mondialisée ne peuvent apporter une solution dans un monde post-pétrole et présentent de nombreux inconvénients, OK. Il existe toutefois des façons d’isoler ou en tout cas de construire des bâtiments qui sont plus résilientes : Construction Terre-paille ossature bois réalisé en chantier participatif, chaux-chanvre, bois cordé, combinaison des deux, earth-ship, Tiny-house, si le problème est le chaud : construction en brique de terre crue et double toit ventilé.

  3. Gildas dit :

    Heu, à charge quand même hein…
    1/ Sel de bore : http://rouchenergies.fr/articles/archives/un-rapport-parlementaire-sur-la-ouate-de-cellulose.html
    On va dire gentiment « conflit d’intérêt » traité de façon clairement déloyale (par les organismes « officiels »).
    2/ Puissance financière : 2 belles boites, mais trop petite, sont « tombées » suite au scandale que vous soutenez (point précédent). A savoir l’usine de la Monnerie et NRgaia.
    3/ Energie grise : l’isolant cellulose est un sous-produit, s’il n’est pas utilisé, il est détruit (brulé), cela sans incidence sur la consommation de papier « neuf ».
    4/ Cependant, ils cumulent des désavantages techniques : fortes épaisseurs pour un pouvoir isolant équivalent ; sensibilité à l’humidité qui dégrade encore les performances et réduit leur durée de vie.
    Bon, si vous ne savez pas, vous ne dites pas… Un lamda de 0,039 est quasi égal à une laine minérale (et juste 2 fois inférieur au meilleur des synthétiques). Pour la gestion de l’humidité, la réalité est l’exact contraire de votre propos. La cellulose sais gérer l’humidité, l’accumuler, la restituer, sans que cela altère ses qualités dans le temps. A la différence des isolants minéraux. https://www.kanopy-isolation.fr/isolation/fiches-technique-isolation/hygrometrie-humidite

    Je suis à 100% votre vision décroissante : on doit apprendre à partager, vivre avec (beaucoup) moins. Mais c’est trop facile de décrier la cellulose, un vrai isolant éco, avec de faux arguments.

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