Le pas de côté… une nouvelle histoire à raconter

Après un diplôme d’ingénieur spécialisant en Gestion, Traitement et Valorisation des déchets, et ayant toujours voulu concilier mes convictions personnelles avec mon parcours professionnel, j’ai travaillé durant deux ans dans une entreprise proposant un service innovant de valorisation des déchets alimentaires des industriels : l’entomoculture. Plus le temps passait et moins je me sentais à ma place. J’ai découvert pendant cette période la science de l’effondrement avec Pablo Servigne et bien d’autres scientifiques travaillant sur ce sujet (Jean-Marc Jancovici, l’association Adrastia, Rob Hopkins, etc.). C’est à ce moment de ma vie que j’ai perdu pied, mon malaise n’en est devenu que plus grand.

Effondrement d’un monde intérieur

J’ai toujours été consciente des problèmes liés aux changements climatiques de par mon éducation et ma curiosité naturelle. Je savais au fond de moi que le monde dans lequel je vivais ne pouvait être éternel au vu de la façon dont les hommes l’exploitaient. Je me suis donc renseignée, j’ai lu beaucoup de choses sur la collapsologie (ou science de l’effondrement). Les faits étaient là : notre société thermo-industrielle est vouée à l’échec. La croissance ne peut être infinie dans un monde fini comme le nôtre. Les ressources sont de plus en plus rares (pétrole, terres rares, minéraux, eau potable, etc.), la biodiversité s’effondre, la haine s’attise un peu plus chaque jour.

La différence entre être conscient d’une situation et en faire une réalité est infime, mais la chute peut s’avérer douloureuse : admettre la vérité m’a plongée dans le désarroi et dans une détresse émotionnelle importante. J’ai eu à ce moment de ma vie un déclic émotionnel, un effondrement de mon monde intérieur. J’ai ressenti de la peur, de l’anxiété, de la vulnérabilité, de l’impuissance, de la colère envers moi-même et envers les autres. Les multiplicités que me proposait l’avenir ont soudain été remplacées par un devenir étroit et malade. Je me suis retrouvée seule avec ces constats accablants, personne n’étant réellement près à entendre ce genre de propos. Pablo Servigne a dit lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté que ce sujet pouvait amener à la séparation de certains couples, j’en fais ici le témoignage.

Après cette période difficile est venu le temps du soulagement ; soulagement de pouvoir exprimer mes émotions face à cette réalité à d’autres personnes convaincues (je n’étais pas seule !), de les accepter et de décider de passer concrètement à l’action. Aujourd’hui encore, il arrive que la désillusion fasse de l’ombre à l’optimisme qui a germé en moi.

Un projet de permaculture : créer des habitats humains et productifs en s’inspirant des écosystèmes naturels

Après une longue période de mal-être, j’ai enfin réussi à faire le deuil de notre société telle que nous la connaissons aujourd’hui. Après avoir quitté mon travail, j’ai mis en pratique mes connaissances en permaculture dans le jardin de mon papa qui en applique les principes depuis plusieurs années, ainsi que dans l’éco-construction (banchage en chaux/chanvre, isolation à la laine de bois, enduits à la chaux, etc., dans une maison que nous sommes en train de rénover sur le même terrain). Dans une politique d’initiative locale, la permaculture, vision abordant une autre conception du monde, permet de créer des habitats humains et productifs s’inspirant d’écosystèmes naturels. Dans cette optique, j’ai suivi une formation (cours certifié en permaculture) me permettant de consolider mes connaissances avec une dynamique de groupe rendant possibles les échanges sur la thématique et apportant une dimension sociale inhérente à la permaculture.

Suite à cette formation, j’aimerais beaucoup participer à des chantiers participatifs et faire du bénévolat dans des éco-lieux ou des collectifs citoyens afin de rencontrer des personnes ayant fait un pas de côté et mis en place de belles alternatives, en France et de par le monde. Cela me permettra également de mettre en pratique mes nouvelles connaissances et m’enrichir de nouvelles idées pour mes projets futurs.

Bien plus qu’un projet de permaculture, une nouvelle histoire à raconter

« Nous tous – adultes et enfants, écrivains et lecteurs-, nous avons l’obligation de rêver. Une obligation d’imaginer. Il est facile de se conduire comme si personne ne pouvait rien changer, comme si nous étions dans un monde où la société est énorme et l’individu moins que rien ; un atome dans un mur, un grain de riz dans un champ. Mais la vérité, c’est que les individus changent sans cesse leur monde, les individus fabriquent l’avenir, et ils le font en imaginant que les choses peuvent être différentes. » (Neil Gaiman, Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture, et de l’imagination).

Notre société est à l’aube d’une nouvelle ère où la prise de conscience des enjeux climatiques est réelle. Il n’est plus possible de le contester : le monde se meurt. Malgré cette prise de conscience, peu nombreuses sont les personnes faisant partager à haute voix leur envie d’un monde meilleur pour les générations à venir. L’importance de ce changement se trouve dans le récit et tout l’enjeu est de réussir à raconter une nouvelle histoire, loin de l’histoire actuelle, consumériste et prometteuse d’un accès au bonheur, ancrée au plus profond de nous depuis des années.

Il est de notre ressort d’écrire une nouvelle histoire et de la raconter, de mettre du baume au cœur aux personnes qui ont peur d’affronter demain. La fin du monde n’a pas besoin d’être celle racontée dans les films hollywoodiens. Je reste persuadée que personne ne peut vivre pleinement heureux sans accepter le fait que le monde est malade. Je ne refuse pas la société, je refuse que les gens ferment les yeux sur les problèmes évidents, l’effondrement peut être accepté et vécu de façon heureuse. Je ne dis pas qu’il faut arrêter de vivre, mais il faut vivre avec le fait que nos lendemains ne seront pas comme nous les avons connus jusqu’à maintenant. Mais ce n’est pas une fin en soi. Il faut se préparer, recréer du lien social et de la solidarité entre les personnes pour traverser cette étape ensemble. Le clivage n’est plus celui de la tendance politique, la question est d’embrasser notre futur main dans la main. La perte d’une partie du monde affecte notre imagination, notre attention est aujourd’hui trop annihilée par la numérisation. Le jeu et l’imagination doivent être remis au centre de nos quotidiens. Il ne faut pas considérer le désespoir et la tristesse pour parler du changement, mais mettre notre imagination et notre créativité au centre de tout, créer un espace où elles pourront renaître.

Et si on passait maîtres dans l’art de raconter de belles histoires ? Invitons les autres à nous rejoindre. Toutes les possibilités s’offrent à nous.

Laure Parasote

5 comments on “Le pas de côté… une nouvelle histoire à raconter”

  1. JOAN dit :

    C’est aussi le fait de se raconter des histoires qui nous a amené là…

  2. yves dit :

    Certains on vu sur qui nou arrivait bien avant, comme par exemple :

     »
    Démocratie
    « Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.

    « Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.

    « Aux pays poivrés et détrempés ! – au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.

    « Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route ! »
    (Rimbaud , illumations)

    Ou Bataille (Georges), première pages de « la part maudite », ds le lien

  3. patrick dit :

    salu Laure,

    simplement te remercier pour ton texte

    patrick

  4. Sev B dit :

    Moi aussi, je suis un grain de riz qui change…

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