Bernard Chanliaud : la cité qui tiendra bon

En ce début d’année 2016, alors que les questionnements sur la stabilité de nos sociétés au cœur d’un environnement perturbé se font chaque jour plus nombreux, Adrastia confirme son ambition de mise en réseau des acteurs de la transition, inquiets d’un risque de déclin voire d’effondrement.

Nous avons reçu récemment une adhésion à l’association accompagnée d’une lettre de soutien qui nous a touchés. Nous la publions ici, nous sommes sûrs qu’elle fera écho à nombre d’entre vous.

[spacer height= »20px »]

***

[spacer height= »20px »]

Pour faire bref : si j’essaie de mesurer mon cas personnel sur l’échelle de Paul Chefurka, le niveau 2 s’est révélé en 1965 (explosion démographique, puis danger nucléaire, j’avais 18 ans), et le niveau 5 en 1997 (j’évolue lentement…).

Sur la voie intérieure, j’ai choisi en 1985 de devenir enseignant de Yoga (« Plus nous serons de yogis, moins dure sera la chute… »). Sur la voie extérieure, j’ai tenté d’élaborer, entre 2003 et 2008, un plan de montage d’une communauté de survie, genre « Comment préparer aujourd’hui une survie décente à la catastrophe – Kit pour un module de 500 personnes »… Nous n’avons jamais été plus de 12 personnes sur le projet…

En 2008, craignant un « clash » imminent,  j’ai pris ma retraite professionnelle (correcteur en presse & édition à Paris) pour rejoindre une communauté (on dit maintenant « collectif agricole autogéré » !) en Ardèche. Les camarades n’étaient hélas pas convaincus du risque d’un effondrement imminent, et je les ai quittés en 2012 pour une aventure plus personnelle : il m’a semblé alors (à tort ou à raison) que la « pression » était moindre, laissant une voie – plus floue, certes – à une évolution du genre « gestion collective du déclin » en milieu urbain…

Cette année, cependant, confondant peut-être ma perception de l’accélération soudaine du danger de rupture systémique avec l’augmentation du battage médiatique concernant la préparation de la COP21, j’ai commencé à réexaminer la situation. Suivant la piste de Pablo Servigne, l’auteur du Comment tout peut s’effondrer…, j’ai découvert le site d’Adrastia : je l’ai trouvé tout d’abord passionnant, mais inconséquent : je suis vraiment convaincu qu’il n’est pas sérieux de tout miser sur un scénario d’ « atterrissage sans trop de casse », surtout s’il s’appuie sur l’hypothèse d’une « conversion » des élites, bien improbable. Quant au « plus grand nombre », il faut compter avec lui, mais pas sur lui…

Qu’allons-nous faire en cas de « dégradation brutale des structures vitales de nos sociétés » (ce sont vos mots) ? Certes je comprends bien que, par exemple, la maintenance des sites nucléaires existants est incontournable et nécessitera un système militaro-industriel conséquent et donc un appareil d’Etat. Heureusement, cet appareil existe, et je lui fais confiance (comment faire autrement ?), il saura sûrement préserver les ressources nécessaires à sa mission. Mais permettez-moi de douter qu’il sache (ou même seulement qu’il en ait le souci !) prendre en charge la survie des populations urbaines privées d’approvisionnement. Je crains fort que les émeutes de la faim seront le régulateur du partage des rations… C’est là qu’est la « catastrophe ».

Or j’ai trouvé une petite phrase, dans le compte-rendu du récent « Séminaire de Lausanne », qui m’a décidé à faire un pas dans votre direction :

« Des collaborations ont été envisagées, nous considérons par exemple que le sujet – sensible mais à ne pas éviter – du survivalisme doit être traité. »

Je souhaite donc aider à concevoir et à élaborer différents « montages » (et participer à leur diffusion et leur mise en œuvre urgente) de « formes de vie » collective concrètes susceptibles de se préparer rapidement et efficacement à traverser la dure période de l’effondrement, et de devenir des socles de reconstitution d’une vie décente pour les « survivants ». Construire non pas la cité idéale, mais la cité qui tiendra bon (la décence en question étant affaire de valeurs éthiques)…

J’imagine pour commencer quelque chose comme un « bureau d’études », semblable aux bureaux d’urbanisme élaborant la reconstruction d’un quartier ou les plans d’une cité nouvelle…, mais envisageant, dans la plus grande urgence, à partir des données concrètes prévisibles, les conditions à réunir en vue de l’autonomie de survie d’un collectif en milieu dévasté. J’ai déjà beaucoup réfléchi à tout cela…

[spacer height= »20px »]

Bernard Chanliaud

6 comments on “Bernard Chanliaud : la cité qui tiendra bon”

  1. Jérôme BUSSY dit :

    Bonjour,

    Cette lettre m’interpelle fortement. Ancien militaire ayant « vu les problématiques au-delà des frontières », et de formation technique universitaire, j’ai une très forte orientation pour l’étude d’une nouvelle forme sociétale, résiliente ou survivaliste selon l’appellation médiatique, dans un contexte de crise systémique.

    Je suis sur ce sujet depuis une décennie, j’ai étudié et compris ce qui globalement marche individuellement ou ce qui ne saurait fonctionner dans la durée. Surtout, nous avons un spectre très large de solutions de résilience individuelle selon Maslov, voire clanique (une maison, un quartier, un hameau). Mais nous n’avons en revanche quasiment pas de solutions de villages, encore moins de villes, capables de tenir au-delà des saisons dans un contexte de perte de la normalité, cause d’effets très désagréables (émeutes, pillages, ruptures des services…).

    La barrière de la stabilité des systèmes résilients est souvent située en rapport « du plus grand nombre » désorienté et réagissant dans l’urgence quoiqu’il en coute. Avec Katrina, les pillages sont arrivés seulement 24h après son passage. Si dans les campagnes, la densité de population permet une latence avant la violence, le cercle périurbain est très rapidement le siège de la grandeur de l’homme et de sa cruauté. La permaculture, le traitement de l’eau, la connaissance de la médecine et de manière générale tout ce qui se rapporte à l’autonomie ne permettent pas de se substituer à cela. Nous sommes coincés, surtout en France où la culture de la défense personnelle est bridée par des lois qui ne sont pas dans le timing de la décharge d’adrénaline face à un agresseur.

    Je souhaiterai me rapprocher de vous ou d’autres pour aborder ce « bureau d’étude » et faire émerger de nouvelles propositions, ensemble. Nous pourrons alors penser ce qui sera utile pour un nombre assez grand, pas « le plus grand nombre », mais essayons. Nous pourrions dans un premier temps réaliser une plaquette de la résilience individuelle ou clanique, disponible sur Adrastia, pour traiter de la pure partie « survivalisme ». Quelque chose de simple et informatif, pour « un grand nombre pas au fait des choses ». Chacun expérimentera après sa solution pour son environnement. Dans un second temps, nous pourrions nous pencher sur les obstacles de la résilience au long terme, face à une population qui a perdu ses repères. Ce sera le plus gros chantier.

    L’objectif sera alors d’ajouter le volet « résilience » – dans un contexte d’urgence – à Adrastia qui formule déjà les réflexions sur « pourquoi on ne change rien à la feuille de route commune » et qui tient les échanges d’informations des données du monde pour les liens « ressource, énergie, économie, climat, société »

    Qu’en pensez-vous ?

    Jérôme BUSSY honoresia@hotmail.fr

  2. jacques de felice dit :

    Une vue réaliste à mon avis des possibles en cas de catastrophe.

    Dans ce ‘chantier’ bureau d’étude qu’il faudrait mettre en place pour apprendre à appréhender le plus grand nombre on voit bien les difficultés : – gérer (prévenir) la panique et les violences qui s’en suivent
    – préparer les gens à des solutions de survie ( pour réduire panique, violence, ..)
    – préparer des moyens de partage d’informations, pour que des choix cohérents se fassent plutot que panique violence
    – pré-déterminer des leaders, sachant s’exposer, sachant promouvoir des comportements, …

    etc ..

    En Suisse chaque citoyen est formé à bien tirer au fusil, à éteindre incendie, à donner les premiers soins, à gérer une catastrophe… C’est une culture de prise en charge de l’imprévu, faire face de manière coordonnée avec des moyens ad-hoc.
    En France ceci est hyper centralisé autour du prefet et à peu prés ingérable. Il existe des exercices très (trop) préparés qui à mon avis sont peu utiles.

    Le volet nucléaire me terrifie. Je ne vois pas de capacité « responsable » pour prendre en compte la sécurité des sites.
    Le secret défense plus l’irresponsabilité de fait des nucléaristes (et autres choses) me fait dire qu’en cas de catastrophe la population ne pourra faire confiance à personne dans ce domaine. Elle (nous) a tout à perdre. Idem avec les sites ‘chimiques’.

    ceci-dit réfléchir à cela, travailler son entourage, discuter .. est raisonnable.
    Une occupation pour rentiers, retraités … car les autres se tuent au travail pour rentabiliser le capital, pour réduire leur précarité organisée…

  3. Vincent Mignerot dit :

    Jérôme, Jacques,

    Merci beaucoup pour vos messages.

    Adrastia se questionne beaucoup sur la période de transition elle-même, qui ne verra probablement pas apparaître d’organisation sociale stable ou pérenne telles qu’elles sont souvent envisagées ou espérées. La question alors que vous soulevez, Jérôme, concernant l’adaptation à l’échelle des villes ou de vastes territoires plus ou moins urbanisés paraît centrale, d’autant plus que si une fraction de la population est consciente des risques de rupture, l’essentiel des citoyens reste encore peu ou pas informé, et c’est la gestion des réactions et mouvements de grande ampleur qui sera la plus délicate et incompatible avec les modèles claniques ou survivalistes tels qu’ils sont composés aujourd’hui.
    Quoi qu’il en soit, compte tenu de la définition encore imprécise et protéiforme du survivalisme, Adrastia reste vigilante, telle qu’elle le précise dans sa déontologie, sur les risques de récupération idéologique et cherchera bien sûr à minimiser les facteurs d’emballement des crises par la violence armée, d’où qu’elle vienne.
    C’est sous l’onglet « Alternatives » de l’observatoire que nous souhaitons donner leur place aux propositions d’adaptation concrète (cet onglet pourra évoluer). L’idée d’un « bureau d’étude » paraît tout à fait pertinente dans cette perspective, nous pourrons si vous le souhaitez solliciter les membres de l’association pour constituer une équipe de travail, avec notamment pour objectif l’élaboration d’une plaquette. Et si le terme « survivalisme » est trop connoté, une forme de « vivalisme éclairé » sera peut-être plus neutre et pertinente pour un travail rigoureux.

    Au plaisir d’échanger plus longuement,

    Vincent pour Adrastia.

  4. Jérôme B. dit :

    Ah moi je parlais de resilience et pas de survivalisme… ce mot ne vaut rien a cause de la presse. Des que l on souleve ce terme c’est le foinfoin. Alors n en parlons plus vu les reactions des reseaus sociaux. Je souhaitais aborder la resilience mais pas eu le temps puisque les gens prennent en amalgame (otage) ce terme aussi pour le coller dans le survivalisme hollywoodien… en fait il faut parler potager pour bien faire… mais on aurais pu demander qui etait capable de mettre les besoins dans l ordre en cas de surprise qu on aurait pas eu 10% de bonnes reponses… donc je vais changer de sujet et laisser debattre sur les reseaux…

  5. CHANLIAUD Bernard dit :

    Je ne sais pas comment se constitue un « bureau d’études », mais il faut bien avancer, alors j’offre une esquisse très succincte du terrain, selon mon point de vue, pour situer sur cette carte les objectifs que j’ai un peu étudiés les années passées. Je ne réponds pas aux interventions précédentes (lues très attentivement, bien sûr), puisque à ce stade nous n’en sommes qu’aux échanges de points de vue ! Les guillemets renvoient à un vocabulaire commun en train de s’installer spontanément, sans réelles définitions…

    Pour tenter d’organiser ma réflexion, concernant la question du « survivalisme », j’ai ainsi étagé une échelle de quatre niveaux :
    1. le niveau individuel
    2. le niveau familial, ou clanique (plusieurs personnes, jusqu’à 15 ou 20)
    3. le niveau villageois (plusieurs centaines de personnes, jusqu’à 1 000)
    4. le niveau cité (plusieurs milliers, et au-delà)

    Une autre façon de sérier le problème, dans l’hypothèse d’un effondrement rapide (du genre de l’effondrement de l’URSS en 1989) :
    – Avant : comment s’y préparer
    – Pendant : comment tenir le choc
    – Après : comment redémarrer

    C’est l’« Après » qui, selon moi, va d’abord cadrer le travail du « Bureau d’études ». Que veut dire « redémarrer » ? Quelles formes de redémarrage sont acceptables, décentes, dans quelle organisation, avec quelle technologie, pour quel projet…
    Et ensuite, quels éléments concrets sont indispensables (le lieu, le nombre, les sources d’énergie, les réserves, les outils et matériels, les compétences, la visibilité du projet…). Tout cela va déterminer les tâches de la construction de l’« Avant ».
    Et enfin, comment faire que cette construction préparatoire traverse sans trop de dommage la phase critique du « Pendant ».

    Selon le scénario envisagé (déclin progressif ou effondrement brutal, échéances, environnement conservé, ou dévasté ou simplement à l’abandon…), selon l’échelle choisie, on aura plusieurs plans de sauvetage à dessiner…

    Personnellement, je laisse aux survivalistes de niveau 1 et 2 la poursuite de leurs recherches (déjà bien avancées) sur les moyens de survivre individuellement ou en petit groupe en contexte hostile ou détruit.
    Par ailleurs, je renonce à m’impliquer dans une étude de niveau 4 : je n’en ai pas les moyens ni les connaissances, et surtout je ne vois pas de possibilité de plan de sauvetage des grandes villes à court terme.

    Reste (pour moi) le niveau 3 :
    – Il est pensable dans l’urgence : un « village autonome » pionnier peut se constituer en quelques années (entre 5 et 10 ans, disons), et même ensuite plus rapidement quand le « plan de montage » a été corrigé par l’expérience.
    – Si les délais le permettent, la multiplication de telles formes de vie peut aboutir à la constitution de réseaux régionaux capables d’absorber un peu le choc d’un effondrement brutal.

    Concernant la violence, je suis incapable (et je m’y refuse, donc) de promouvoir un projet dont la survie dépendrait d’une force armée dirigée contre des « agresseurs ». Ce choix non violent (mais pas angélique) entraîne beaucoup de conséquences quant au profil d’un « village de survie » pendant la phase « violente » d’un effondrement brutal (par exemple : ne pas s’installer près d’une grande ville !). J’y ai un peu réfléchi, la non-violence n’est pas inconcevable dans de telles circonstances.

    Concernant l’accident nucléaire, je n’ai aucune solution, et certainement même aucun désir de survie dans un abri… Là aussi, la prudence voudrait qu’on soit installé le plus loin possible des lieux « irradiables ». Si l’air devient irrespirable partout, je laisse tomber…

    De toute façon, un effondrement brutal à court terme serait si traumatisant que ce n’est pas la peine d’y ajouter les pires hypothèses. En sens inverse, il n’y a pas lieu d’envisager que ce pourrait être « la joie de vivre dans la frugalité »…

  6. Vincent Mignerot dit :

    Jérôme, Bernard,

    Je vous prie de m’excuser pour l’affichage tardif de vos messages, je n’ai pas reçu de notification.

    Merci beaucoup pour la continuation et l’enrichissement des échanges, Bernard, nous nous servirons j’en suis sûr des bases de réflexion et de travail que vous proposez.

    Vincent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *