Interview de François Roddier pour Adrastia

 

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5 mai 2015, interview pour Adrastia de François Roddier, physicien et astronome, notamment reconnu pour avoir développé des techniques qui ont permis d’optimiser les performances des télescopes terrestres.

François Roddier a publié en 2012 Thermodynamique de l’évolution : Un essai de thermo-bio-sociologie, un livre qui fait la synthèse des nouveaux modèles d’évolution élaborés autour de l’hypothèse de « dissipation maximale d’énergie » (Maximum Entropy Production). Selon ces modèles, il serait possible de considérer que toute évolution serait motivée par la nécessité de toujours « consommer » plus d’énergie. Ces modèles, qui semblent bien vérifiés par les données issues de la réalité, font craindre une rupture pour les sociétés humaines, par consommation excessive des ressources et manque d’approvisionnement en énergie (pic pétrolier).

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Adrastia : Monsieur Roddier, devant la crise majeure que vos travaux annoncent et craignent, dans quelle mesure pensez-vous que nous pourrions, en décidant de décroître de façon volontaire, renoncer à la société consumériste sans renoncer au développement de la connaissance et de la science ?

François Roddier : Nous le pourrions, mais il faudrait pour cela le vouloir collectivement. Cela implique une prise de conscience très générale des problèmes auxquels l’humanité va être confrontée. C’est bien loin d’être le cas. Les premières prises de conscience notables sont apparues à la fin des années soixante. Elles ont culminé en France vers 1974, lorsque René Dumont a été candidat à la présidence de la République. Il y a eu alors ce qu’en termes de dynamique non-linéaire on appelle une avalanche, mais ce n’a été qu’une toute petite avalanche d’opinion en faveur de l’écologie. L’immense majorité de l’opinion a rejeté ou tout simplement ignoré la conclusion de travaux comme ceux du Club de Rome.

Au début de ce siècle, c’est-à-dire trente ans plus tard, la majorité de l’opinion était encore que, puisqu’aucun effondrement ne s’est produit, rien de grave ne va arriver. Les estimations du Club de Rome prévoyaient pourtant des difficultés seulement à partir des années 2015 à 2030. Il faut dire que l’homme n’a pas génétiquement ni même culturellement évolué pour se préoccuper de ce qui va arriver au-delà d’une génération, c’est-à-dire une trentaine d’années après lui. Aujourd’hui, une certaine inquiétude revient, due à la persistance des difficultés économiques, mais l’opinion générale est encore bien loin d’un renoncement à la société consumériste, même si cela n’implique pas un renoncement à la connaissance que l’on confond encore trop souvent avec le développement technique.

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A. : Vous proposez, en évoquant les monastères et les couvents qui ont été des lieux où la connaissance a trouvé refuge après la chute de Rome, d’utiliser internet pour stocker l’information qui nous permettrait de prolonger au mieux l’existence humaine après une période de rupture. Aurons-nous demain assez de ressources (énergie, matières premières), pour utiliser encore cette connaissance « dématérialisée » ?

F. R. : Une structure dissipative dissipe d’autant plus d’énergie qu’elle stocke plus d’information, mais au-delà d’un certain seuil, elle dissipe trop d’énergie et s’effondre. Une partie de l’information peut se perdre, mais celle-ci est très redondante et ce qui reste forme les graines à partir desquelles le processus reprend.

On a tendance à considérer exclusivement l’énergie. En physique, l’énergie est un invariant. Un être vivant ne crée donc pas d’énergie. Ce qu’il crée, c’est de l’énergie dite libre, c’est-à-dire convertible en énergie mécanique et c’est l’information qu’il mémorise dans ses gènes ou dans son cerveau qui lui permet de libérer cette énergie.

De même, un organisme vivant est parfaitement capable de trouver dans sa nourriture tous les éléments dont il a besoin, y compris les plus rares appelés oligo-éléments. Là encore, il les trouve grâce à l’information stockée dans ses gènes. Dans le cas d’une société, l’information nécessaire est de nature culturelle. L’homme ne manquera pas d’information culturelle pour reconstruire la société.

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A. : Vous décrivez l’acquisition et le partage de l’information (par les gènes et les mèmes) comme des catalyseurs de la dissipation de l’énergie. Pensez-vous que cette « catalyse » s’applique aussi aux informations qui concernent la protection de l’environnement, ce qui leur permettrait éventuellement de devenir compétitives et peut-être de changer vraiment nos comportements, selon une régulation choisie ? Pensez-vous en particulier que l’acquisition et le partage de l’information et de la culture pourraient permettre aux sociétés humaines de mieux coopérer pour tendre vers un monde plus apaisé ou les conflits vous semblent-ils inévitables ?

F. R. : Aucune espèce animale ne protège son environnement. Les prédateurs épuisent leurs proies jusqu’à mettre en danger leur propre espèce. Les populations de proies peuvent alors se reconstituer créant les oscillations proies/prédateurs étudiées par Lotka et Volterra. L’homme apparaît comme pouvant faire exception. L’exemple des Koguis, cité à la fin de mon livre, montre que l’homme est éventuellement capable de protéger son environnement lorsqu’il sait pertinemment que celui-ci lui est défavorable et risque de devenir un problème pour sa survie. Il le fait à condition qu’il soit parfaitement conscient de la précarité de sa situation.

La plupart du temps, il ne l’est pas. Il l’est d’autant moins qu’il s’agit de problèmes à long terme. Comme je l’ai déjà dit, l’homme privilégie toujours le court terme sur le long terme. Il a beaucoup de mal à imaginer ce qui peut se passer au-delà d’une génération après lui. Il ne se sent pas concerné. Il a beaucoup de mal à accepter l’idée de devoir sacrifier des bénéfices pour lui à court terme en échange d’hypothétiques bénéfices à long terme pour ses descendants. Cela entraîne qu’il surexploite automatiquement les ressources présentes aux dépens des ressources futures, d’où les oscillations de la société, caractéristiques des systèmes auto-organisés autour d’un point critique.

La prise de conscience de ces phénomènes est en train d’évoluer. La quantité d’information mémorisée par les sociétés humaines ne cesse d’augmenter. Les progrès récents de l’archéologie montrent clairement ces oscillations tout au long de l’histoire de l’humanité. Cette dernière abonde maintenant en exemples d’effondrements de civilisations passées. Les progrès dans l’étude des systèmes complexes et de son application en biologie permettent de mieux comprendre ces processus. À long terme, l’acquisition et le partage de cette information permettra certainement aux sociétés humaines de mieux coopérer.

Bien que cette information ne cesse de s’étendre, elle reste malheureusement limitée au monde dit académique. Bien plus, pour éviter un effondrement il faudrait divertir une fraction croissante de l’énergie avec laquelle nous maintenons notre confort actuel pour l’investir dans le développement de techniques moins dépendantes des énergies fossiles. Très peu de gens sont prêts aujourd’hui à accepter ce sacrifice.

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A. : Vous rappelez qu’en contexte de crise, ce sont les petites structures qui s’adaptent le mieux (sélection r/K). En contexte de crise globale et systémique, le risque n’est-il pas que ces petites structures soient d’autres espèces que l’espèce humaine (espèces capables de s’alimenter malgré le réchauffement, bactéries ou même pathogènes), et que les tentatives de mise en place de petites communautés par l’humanité elle-même soient vaines, et peut-être contre-productives ?

F. R. : Si, bien qu’encore non rigoureusement démontré, on admet le principe de production maximale d’entropie, alors ce risque est nul. L’énergie dissipée par l’ensemble des autres espèces animales ou végétales est négligeable vis à vis de l’énergie actuellement dissipée de façon exosomatique par l’ensemble de l’espèce humaine.

On peut se poser la question de l’ampleur de l’effondrement auquel notre civilisation va devoir faire face. Une estimation qui me parait raisonnable est une ampleur comparable à celle de l’empire romain. La plus grande crainte aujourd’hui est celle du réchauffement climatique. L’ampleur du désastre pourrait alors devenir comparable à celle de la révolution néolithique. L’homme a non seulement survécu, mais il a proliféré grâce à l’agriculture et à l’élevage. On peut s’attendre à une évolution de même nature.

Il ne faut pas oublier que l’évolution s’accélère, de sorte que la restructuration de la société sera beaucoup plus rapide qu’on ne l’imagine. De fait on peut voir déjà le processus à l’œuvre aujourd’hui dans ce qu’on appelle les villes en transition. Ce phénomène encore mal connu se répand à toute vitesse, principalement dans les pays de culture anglo-saxonne.

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A. : Enfin, même si nous savons qu’il est difficile de prédire l’avenir, pensez-vous que l’effondrement de nos sociétés se fasse sur une courte période nous condamnant à subir les événements, ou celui-ci s’étalera-t-il sur un temps suffisant pour que nous en ayons quelque maîtrise ?

F. R. : L’empire romain a mis plusieurs siècles avant de s’effondrer et il a fallu attendre Charlemagne pour observer un premier et très court réveil de l’économie. Aujourd’hui les choses vont beaucoup plus vite. Toutefois, un phénomène comme le réchauffement climatique ne se produit pas du jour au lendemain. En ce qui concerne l’homme, le temps caractéristique d’évolution est au minimum celui d’une génération humaine soit 30 ans. Dans mon blog (article Les quatre saisons de l’économie), je donne des arguments en faveur de cycles économiques de 4 fois trente ans soit 120 ans. Cela donne le temps à l’humanité de prendre conscience de ce qui se passe.

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