Leçons de la transition énergétique en Allemagne, par Philippe Gauthier

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Certains groupes écologistes bien intentionnés tracent un portrait un peu trop rose de la transition énergétique en Allemagne. En fait, les limites pratiques sont nombreuses, les coûts sont élevés et les modèles économiques classiques ne fonctionnent plus. Tout le secteur européen de la production électrique est au bord de la faillite et les experts en énergie essaient de comprendre les contraintes inhérentes aux énergies renouvelables avant d’aller plus loin.

En mars dernier, Friedrich Wagner, professeur retraité à l’Institut Max Planck, a présenté le fruit de ses récents travaux lors du Troisième séminaire international sur l’énergie, un discret rassemblement d’experts indépendants sur l’énergie, tenu en mars 2016 à l’École de Physique des Houches, en France. Ses conclusions, qui s’appuient sur les données les plus récentes, jettent un éclairage neuf sur la question des limites de la transition.

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Production et stockage

Selon le professeur Wagner, la puissance installée (ou puissante crête) ne compte pas, seule compte l’énergie réellement produite. Alors que les centrales fossiles ou nucléaires fonctionnent généralement à 80 % ou 90 % de leur capacité, ce chiffre est de l’ordre de 20 % pour l’éolien et le solaire. Autrement dit, il faut à peu près quatre fois plus de puissance renouvelable installée pour produire autant d’électricité qu’un équipement à énergie fossile. Il en découle que :

    • Les variations de la météo produisent d’énormes déficits et d’énormes surplus. La puissance installée nécessaire pour alimenter l’Allemagne en électricité en temps normal serait suffisante pour alimenter toute l’Europe s’il fonctionnait à 100 %.
    • Par beau temps, le surplus d’énergie à écouler suffit à lui seul à alimenter la Pologne en entier.
    • L’Allemagne gère actuellement ces surplus en les exportant, mais si tous les pays d’Europe font la transition vers les renouvelables, cette option n’existe plus. Or, le courant produit doit absolument être utilisé, sous peine de griller (faire sauter) le réseau électrique. Il suffit de 5-10 % de surplus de production pour menacer le réseau et les appareils électriques domestiques.
    • Le mauvais temps existe. La puissance fossile d’urgence de réserve, déclenchée en cas de mauvais temps, correspond actuellement à 88 % de la puissance installée en énergie renouvelable. Autrement dit, l’Allemagne doit installer et entretenir deux systèmes de production parallèles.
    • Pour maintenir cette réserve de 88 %, l’Allemagne doit, paradoxalement, ajouter des centrales ou gaz ou au charbon chaque fois qu’elle remplace une centrale nucléaire par une production photovoltaïque ou éolienne équivalente.
    • Pour remplacer cette puissance fossile d’urgence par des batteries ou des accumulateurs, il faudrait multiplier la capacité de stockage actuelle par 660 (660 fois, pas 660 %). Même si les 40 millions de voitures allemandes étaient toutes électriques, leur contribution à la capacité de stockage serait négligeable.

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Gestion du réseau

En Allemagne, la distribution des énergies renouvelables se fait selon un axe nord-sud (l’éolien est produit dans le nord, le photovoltaïque dans le sud), mais les exportations se font surtout sur un axe est-ouest (vers la France et la Pologne). Ceci impose aussi un dédoublement du réseau.

  • On ne peut pas équilibrer la demande en baissant les prix le soir pour y déplacer le branchement des voitures ou les activités énergivores, comme la lessive, comme beaucoup le suggèrent. En fait, les surplus d’électricité à gérer sont d’origine photovoltaïque et ne sont disponibles que pendant le jour.
  • Dans les faits, la part « raisonnable » d’énergie intermittente que peut accepter le système est limitée à 40 %. Au-delà de ce seuil, les surplus d’électricité générés par temps favorable augmentent de manière très marquée et rendent le système de plus en plus ingérable.
  • On peut imaginer un mix électrique 100 % renouvelable, mais l’éolien, le solaire et l’hydraulique n’y suffiront pas. Il faut, pour équilibrer un tel système, produire pour 40 TWh d’électricité à partir de biogaz, ce qui serait un exploit en soi. Il faudrait aussi réduire la consommation d’électricité à 30 % du niveau actuel, ce qui est un défi encore plus considérable.
  • Si l’on essaie de remplacer ce coussin de biogaz par plus de solaire et d’éolien, on retrouve le problème des énormes surplus de production à exporter – si l’on trouve un client.
  • Toutes ces contraintes font en sorte qu’en Allemagne, au total, le taux d’émission de CO2 est plus élevé que des pays comme la France ou la Suède, qui utilisent un système mixte hydraulique/nucléaire. Autrement dit, en tenant compte de tout, les énergies renouvelables allemandes émettent plus de CO2 que l’énergie nucléaire qu’elles remplacent.

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Coûts

Bien que le coût de l’éolien et du photovoltaïque soit maintenant inférieur à celui des énergies fossiles à puissance installée équivalente, dans les faits, la nécessité d’installer plus de puissance crête pour une même quantité d’énergie produite, la nécessité d’entretenir un parc de centrales thermiques d’urgence et les investissements massifs dans les réseaux de transport et de distribution font exploser les coûts.

  • L’industrie passe d’un système basé sur l’offre et la demande à un système où l’offre est basée sur une météo imprévisible. Cela entraîne une grande variabilité des prix payés aux producteurs et une imprévisibilité des revenus nets qui fragilise l’industrie électrique.
  • Le gouvernement allemand subventionne actuellement le kilowatt-heure d’électricité renouvelable à la hauteur de 6,5 cents euro. La valeur de cette subvention dépasse le coût total de l’électricité au Québec et représente, pour l’Allemagne, un déboursé de 24 milliards d’euros par année.
  • En dépit de cette subvention, les Allemands paient actuellement leur électricité plus de 20 cents euro du kilowatt-heure, contre 10 cents seulement en 2002. Cette hausse des prix commence à avoir des conséquences sociales.
  • Enfin, selon le professeur Wagner, le coût total de la transition énergétique sera d’environ 300 milliards d’euros, et ce, sans tenir compte des subventions à la production d’électricité renouvelable.

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Philippe Gauthier

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Sources :

Renewables in Germany and Sweden, par Friedrich Wagner

3rd Science and Energy Seminar at Ecole de Physique des Houches, March 6th-11th 2016

 

8 comments on “Leçons de la transition énergétique en Allemagne, par Philippe Gauthier”

  1. Vincent dit :

    > Enfin, selon le professeur Wagner, le coût total de la transition énergétique sera d’environ 300 milliards d’euros, et ce, sans tenir compte des subventions à la production d’électricité renouvelable.

    C’est pire que ça : les équipements éolovoltaïque ne durent qu’une vingtaine d’années. Ces dépenses devront donc être renouvelées dans quelques années.

    On se demande comment un pays aussi développé, avec une population aussi éduquée peut faire des choix aussi stupides.

    1. BLANC Lionel dit :

      Le comportement anti-nucléaire des Allemands vire à l’aveuglement…
      1) Et on n’a même pas parlé de la pollution supplémentaire (hors CO2) générée par la combustion de leur charbon, matière qui n’est jamais purement du Carbone, mais un mélange chargé de métaux toxiques qui finissent dans l’atmosphère…Pour comparaison, les déchets toxiques du nucléaire sont stockés en fut, non-pas relâchés dans l’atmosphère….Encore un sujet qui mériterait analyse et comparaison (charbon vs nucléaire)
      2) On ne parle pas non plus des habitants des zones d’extraction minières de ce charbon qui se voient également expropriées…
      3) J’aimerais aussi que les Allemands soient honnêtes sur les coûts réels d’entretien de leur éoliennes offshore, car à chaque fois c’est à coup d’hélicoptère qu’ils s’y rendent….Bonjour la facture + le kérosène !!

  2. Benoit De Cornulier dit :

    Les coûts… quels coûts? et à quel terme? et par rapport à quoi?
    Cet article et les commentaires qui suivent n’effleurent pas les coûts financiers (sociaux et environnementaux) actuels et (pire) futurs de la pollution chimique et du réchauffement climatique par les fossiles.
    Ils n’évoquent pas plus les mêmes coûts liés au nucléaire: extraction, enrichissement, stockage, retraitement puis stockage long terme, démantèlement (… et que, pour les derniers, nul ne sait faire aujourd’hui de façon maîtrisée et fiable!).
    Les coûts présents déjà on a du mal à les connaître. On ne sait qu’entrevoir ceux futurs, mais on les pressent si vertigineux qu’aucun pays, aucun industriel n’ose publier de projections à ce sujet. Tant pis, on persiste, la tête dans le sable, … tout en critiquant ceux qui s’engagent dans des alternatives, avec le courage des pionniers.
    Je passe sur les coûts des désastres « passés » qui ont nom Tchernobyl, Fukushima pour les plus visibles.
    Demandons aux populations qui en sont victimes ce qu’ils pensent des « chères » alternatives.

    1. BMD dit :

      @ Benoît de Cornulier, il faudrait déjà que les populations « victimes » soient correctement informées des dangers que leur font courir l’usage des différentes formes d’énergie, et il ne fut pas compter sur les « courageux » pionniers des alternatives pour cela. L’ utilisation du charbon pour produire de l’électricité, c’est un ordre de grandeur de 1 à 2 millions de morts prématurées PAR AN, du fait des maladies entraînées chez les mineurs, mais surtout de la pollution atmosphérique entraînée, qui n’épargne pas l’Europe, comme l’a souligné un récent rapport de Green Peace. Les « courageux » pionniers des alternatives dont vous parlez n’ont aucunement intégré cette donnée dans leurs réflexions, et préfèrent pour des raisons fantasmatiques éliminer le nucléaire, globalement beaucoup moins dangereux, ce qui revient à encourager le charbon, comme c’est le cas en Allemagne.

  3. Michel LATTUGA dit :

    Encore une fois, on confond sciemment énergie et électricité. Celle-ci, en France du moins, ne concerne que 17 % de l’énergie totale consommée, par les transports, l’industrie, l’agriculture, et qui est fournie par le pétrole et le gaz. Donc arrêtons de dire que c’est la production d’électricité qui est la cause de la pollution et du réchauffement climatique.
    La transition énergétique ne se fera donc qu’en changeant totalement notre manière de vivre, dont l’empreinte écologique est insupportable pour la planète, puisque nous consommons les ressources de 3,5 terres. Il faut ensuite développer le stockage de l’énergie électrique, ce qui n’est pas mentionné dans l’article.

  4. Jean-Marc dit :

    Une chose m’intrigue.
    En considérant un effondrement sociétale, je présume que cette société deviendrais pauvre.
    Si une société est pauvre et qu’elle produit son électricité avec du nucléaire, y a t il le risque que ne disposant plus des moyens nécessaire au maintient en état des installations, celles ci deviennent dangereuses pour l’environnement et l’homme? Cet élément doit il être pris en compte selon vous?

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