Vincent Mouret, témoignage sur une prise de conscience

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Adrastia : Vincent Mouret, cet été, alors que tu t’engageais dans la rédaction d’un nouvel article Wikipedia portant sur l’effondrement de notre civilisation industrielle actuelle, tu as contacté l’association Adrastia pour obtenir des références de textes fondateurs sur cette notion. 

Comme la démarche correspondait à notre intention d’informer le plus largement possible le public sur les phénomènes en cours, nous avons aussi largement que possible mobilisé notre réseau pour te fournir le plus rapidement possible les arguments dont tu avais besoin pour finaliser cet article. Maintenant que sa rédaction semble acquise, nous aimerions en savoir plus sur la personne derrière l’auteur et sur ses motivations. Pourrais-tu nous dire quelques mots sur ton parcours ?

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Vincent Mouret : J’ai pris conscience, sur le tard, il y a environ trois ans, des problèmes relatifs au dérèglement climatique, à l’importance de l’écologie, et à l’impuissance des hommes à réparer ce qu’ils ont dégradés. J’ai, dans le même temps, découvert la force du déni généralisé, l’incroyable méconnaissance de la plupart des gens au sujet de ce qui est en train de se passer, et l’ignorance, plus ou moins volontaire, de la gravité des conséquences à moyen terme, voire à très court terme. Pourtant, je ne peux pas leur en vouloir puisque j’étais exactement dans le même cas il y a si peu.

Ma compagne est au courant de tout cela depuis l’âge de seize ans et le fait qu’elle soit allemande explique peut-être sa précocité sur les questions d’écologie. Elle a été évidemment, pour moi, le premier déclencheur à son arrivée dans ma vie il y a cinq ans. Elle était effarée lorsque je lui déclarais que : « si les hommes nous ont mis dans un tel bourbier, le génie humain saura bien nous en sortir !!’’ Et il est vrai, je le confesse, que cela résolvait tout à mes yeux et me permettait de ne pas m’en préoccuper plus que ça et de dormir du sommeil du juste. Face à mon ignorance crasse, elle m’expliquait ce qu’il en était mais sans jamais insister. Bien qu’ayant été militante, voire activiste, dans sa jeunesse, elle avait par la suite renoncé à vouloir ouvrir les yeux de ceux qui voulaient à tout prix les garder fermés. Elle se « contenta » donc, par la suite, de mettre sa vie quotidienne en adéquation avec son savoir et sa pensée (acheter le plus possible local et bio, se chauffer grâce à des poêles à bois et vivre de sa passion et de ses créations : elle est céramiste). Ayant conscience que le seul moyen d’action et de résistance quotidienne est de savoir qui et quoi on soutient quand on achète, quand on « donne » notre argent !

Pour ma part, chemin faisant, dans mon quotidien, j’achetais souvent des produits bio, pensant que c’était meilleur pour ma santé, mais sans grande préoccupation planétaire. Depuis toujours, j’étais, sans savoir vraiment pourquoi, comme une intuition profonde, très sensible à la déforestation avec un attachement très particulier pour l’Amazonie dans laquelle je voyais comme un lien inaliénable avec les origines…

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A : Te souviens-tu comment tu as eu le déclic, quand as-tu véritablement pris conscience ?

V.M. : Peu à peu, probablement grâce à l’exemple de ma compagne, je me suis mis à m’intéresser à l’écologie, je regardais des vidéos, des conférences de Nicolas Hulot qui était un peu ma seule référence au départ. Puis, un soir, seul affalé devant ma télé, j’assistais à une interview de Nicolas Hulot qui prononçait lors du journal du 20 heures une phrase, à priori banale, qui résonne encore en moi aujourd’hui, d’une façon claire et distincte : « Les éléphants d’Afrique sont en train de disparaitre, et tout le monde s’en fout ! ».

Ce fut surtout le ton aigri et amer face à la désinvolture et l’art de ramener tout à la même chose de l’interviewer qui m’a marqué. Cette phrase fut pour moi un déclic. On ne peut pas laisser tout faire. On ne peut pas tout ramener à la banalité et esquiver les choses en un sourire, en un paraître conforme. On ne peut pas sauter d’un sujet à l’autre comme si tout avait la même importance, c’est-à-dire aucune. Ce soir-là, sans le savoir vraiment, j’épousais la cause du vivant !

Très vite, j’ai voulu en savoir plus, ma première lecture fut : « Tout peut changer, capitalisme et réchauffement climatique » de Naomi Klein. Je me souviens de l’impatience que j’avais en le lisant afin de connaitre les solutions proposées à la fin du livre. Les bras m’en sont tombés… et le livre avec quand j’appris que le changement ne pouvait venir que de la société civile, donc de nous, donc de moi ! C’était la première fois que je prenais conscience de la gravité de ce qui se passait et qu’il ne fallait rien attendre des autorités et encore moins des industriels. Que tout dépendait de chacun, de nous seuls, de toi, de moi. Quel choc ! Quel transfert de responsabilité ! Là, d’un seul coup, je réalisais que personne, à part, à sa façon, ma compagne, ne m’y avait préparé !

J’ai compris, par la suite, que personne (ou si peu) n’en savait rien et surtout que la plupart ne se souciait de rien. Qui, en Europe, dans les années 70, se souciait du rapport du Club de Rome ? Alors que nous sortions de deux guerres, et que la croissance paraissait sans fin ?

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A : Quels changements cette prise de conscience a-t-elle provoqués pour toi ?

V.M. : Évidemment suite à cela, mon sujet de conversation principal devint l’avenir de l’humanité : comment faire pour continuer à vivre, voire à survivre. Je ne pouvais pas comprendre comment on pouvait passer toute une soirée sans évoquer ce sujet crucial, dont l’urgence est aussi criante qu’inouïe !

Lorsqu’un ami, a priori plutôt informé, m’annonça droit dans les yeux : « Oui, je sais, mais ce n’est pas mon combat ! »,  une fois l’étonnement passé, je lui posais cette question : « mais s’il reste un dernier combat, alors, que peut-il être ? » A ce jour, je n’ai toujours pas de réponse…

Et puis, ce qui devait arriver arriva. Un autre ami, ne voulant pas entendre ce genre de propos, me chassa de chez lui lors d’une soirée ! Je devins infréquentable pour certains.

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A : Beaucoup prétendent que faire prendre conscience de l’effondrement serait paralyser la volonté d’agir, comment cela s’est-il passé pour toi ?

V.M. : Lors d’un repas, au restaurant, un ami me raconta la fameuse histoire du Colibri (que je ne connaissais pas alors) qui m’a convaincu de faire ma part. Je me suis mis dans l’idée d’alerter mes concitoyens de l’urgence de la situation ! J’ai commencé l’écriture d’un petit manifeste qui avait pour prétention de sensibiliser le lecteur aux enjeux écologiques. Je le voulais bref et percutant, abordable et lisible par tous, un peu à la façon de l’opuscule, phénomène éditorial, de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! ».

Mais je n’ai pas réussi à le finir, tant il me semblait que l’urgence s’était déplacée, car, entre-temps, j’ai lu quelques autres livres dont notamment « Requiem pour l’espèce humaine » de Clive Hamilton, celui de Pablo Servigne « Comment tout peut s’effondrer » et écouté les conférences de Vincent Mignerot sur YouTube.

Là, il faut bien le dire, ce fut à nouveau le choc ; suivi d’une immense détresse…

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A : Après le choc, la colère et le marchandage, la dépression… Ce sont exactement les phases théoriques du deuil décrites par Elisabeth Kübler-Ross. Es-tu resté dans cette phase dépression ?

V.M. : Ce n’était pas une dépression, mais plutôt une sorte de tristesse… Très vite, comme je contribuais depuis trois ans à des articles sur Wikipédia, je me suis pris en main et je me suis dit que face au déni généralisé et à l’inconscience plus ou moins volontaire, était venu le moment de faire connaître à mes frères humains, le sujet majeur, le sujet de tous les sujets : les risques inouïs et inédits qui pèsent sur nous tous. Jamais dans l’histoire de l’humanité une telle convergence globalisée ne s’est présentée ! Voilà pourquoi j’ai pris l’initiative d’écrire cette page relative à l’effondrement de la civilisation.

Finalement, Je peux aussi remercier les amis qui ont rejeté mon propos ou m’ont trouvé excessif. Car ils font probablement partie des éléments déclencheurs de mon engagement. Leurs réactions m’ont tellement stupéfié, étonné, parfois révolté, que cela m’a motivé pour d’abord commencer à écrire cet opuscule inachevé puis à rédiger l’article Wikipédia « Théories sur les risques d’effondrement de la civilisation industrielle ».

Donc, au fond, après avoir été moi-même déniaisé (j’adore ce terme, il est si juste !), je ne souhaite maintenant que « déniaiser » mes contemporains. Car tout de même, il ne s’agit pas de prédictions fantaisistes, mais d’évaluations scientifiques !

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A : C’est pour cela que tu as fait appel à Adrastia ? Pour avoir accès à plus d’informations ?

V.M. : Tout à fait ! Peu de temps après avoir mis en ligne mon article Wikipédia, un « wikipédiste » l’annula à deux reprises. J’ai été repêché in extremis par un administrateur qui a proposé mon article à la discussion pour débattre de son maintien ou de sa suppression. En voyant grossir le nombre de personnes qui voulaient supprimer mon article, et souvent avec agressivité, et en réalisant que mes défenseurs étaient peu nombreux et si peu affirmés, je paniquais à l’idée que le thème de l’effondrement disparaisse de wikipédia. C’est alors que j’ai pris l’initiative de contacter Pablo Servigne et Vincent Mignerot pour qu’ils m’apportent leurs lumières afin d’enrichir le texte. L’activation du réseau d’Adrastia m’apporta de précieuses et solides références que je découvrais au fur et à mesure. C’est grâce à l’aide conjuguée de Vincent Mignerot et de toi, Laurent, qui m’avez apporté un soutien journalier sans faille tout au long de deux semaines enthousiastes (et, pour ma part, parfois fébriles), sans oublier l’intervention de Pablo Servigne, que j’ai pu poursuivre l’aventure et que l’article s’imposa finalement en passant entre les griffes du déni !

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A : Maintenant que l’article a été rédigé et accepté, quels sont tes projets ?

V.M. : Je n’ai, pour le moment pas de nouveaux objectifs si ce n’est, à titre personnel. Nous venons d’acheter un terrain pour y faire fructifier un jardin potager en permaculture et je vais donc me consacrer à cette tâche, essayer de me déprendre de l’ordinateur, et peu à peu tenter d’associer le village à un projet collectif prenant en compte la réalité de demain matin !

Nous, les cinquantenaires, aurons eu l’énorme privilège de profiter de tout pour finalement refiler l’enfer à nos enfants ! Il est donc inconcevable qu’on ne fasse rien pour tenter d’alléger le plus possible le choc à venir.

Aujourd’hui, je m’interroge. Si nous n’avons plus les moyens de sauver notre civilisation, il nous reste probablement la possibilité de faire en sorte que l’effondrement soit le moins douloureux possible, et peut-être tenter de retarder l’extinction de l’espèce humaine. Les seuls enjeux, désormais, sont là !

Pour revenir au colibri, il ne faut pas se tromper sur son message, il ne s’agit pas de faire un tout petit peu, et puis se dire que c’est fait. Non, le colibri, lui, fait tout ce qu’il peut (cette goutte est énorme proportionnellement à ses capacités) et il la jettera sur le feu tant que celui-ci ne sera pas éteint !

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Vincent Mouret est né à Avignon en 1962 et est aujourd’hui commerçant (chapellerie). Il est titulaire d’une maîtrise de lettres modernes. Ses centres d’intérêt : l’histoire de la philosophie, les idées et le savoir en général, les visions globales. Il est également passionné par le théâtre et la musique (jazz, rock progressif…) et, depuis peu, par l’écologie et tout ce qui, hélas, peut concourir à l’effondrement de notre civilisation…

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Interview par Laurent Aillet

 

 

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